Florence Aubenas © Ed. de l’Olivier

Sélection de livres : "L’inconnu de la poste", un chef-d’œuvre d’immersion

Sorti en février dernier, le dernier livre de Florence Aubenas, L’inconnu de la poste, a été salué par un concert de louanges. Une telle unanimité pourrait paraître suspecte... Il n’en est rien. C’est bel et bien un roman aussi haletant que bouleversant. Où tout est vrai.

De sang-froid, récit publié en 1966 par Truman Capote, est devenu la référence ultime en même temps que l’un des tout premiers livres appartenant au genre littéraire du true crime.

Un “crime vrai” donc, qui raconte, avec un brio et une sensibilité extrêmes, comment, en 1959, à Holcomb au Kansas, deux jeunes truands tuent, sans mobile apparent, quatre membres de la famille d’un fermier. Une affaire si sordide qu’elle marquera au fer rouge l’imaginaire de l’écrivain américain, qui ne s’en remit jamais.

C’est tout le contraire que l’on souhaite à Florence Aubenas. Même si son dernier livre L’inconnu de la poste s’inscrit dans cette tradition littéraire, sans avoir à rougir de la comparaison avec le “roman vrai” de Truman Capote.

Elle a mis toutes les chances de son côté lorsqu’elle s’est décidée à enquêter sur cette affaire qui défraya la chronique à la fin de l’année 2008.

28 coups de couteau

Le 19 décembre 2008, le corps de Catherine Burgod-Arduini, la postière de Montréal-la-Cluse, âgée de 41 ans, mère de deux enfants et enceinte de cinq mois et demi, était retrouvé sans vie sur son lieu de travail, atteint de 28 coups de couteau.

Florence Aubenas retrouve là un terrain familier. Elle s’est fait connaître lors de sa couverture du procès d’Outreau, pour le quotidien Libération. Elle fut l’une des premières à exprimer ses doutes sur la culpabilité des prévenus finalement innocentés (une attitude sous le coup de l’article 434-16 du Code pénal). Elle l’exprima aussi dans le livre qu’elle a consacré à l’événement, La méprise. L’Affaire d’Outreau (sorti en 2005).

Mais l’aspect judiciaire n’est pas le seul terrain qu’elle aime déchiffrer. Il lui permet surtout de déboucher sur un autre chemin, celui des sentiments et des existences humaines.

Pour écrire son livre, elle est allée à la rencontre des proches de Catherine Burgod, de ses amies qui lui ont tout dit de sa vie sentimentale difficile, de sa récente séparation, douloureuse, avec un homme jaloux, violent. Florence Aubenas s’est efforcée, avec toute l’empathie qu’elle a déjà montrée dans Le Quai de Ouistreham (livre magnifique sur les femmes de chambre des ferries), de comprendre cette femme d’une grande beauté, à l’existence modeste mais droite. Sa joie d’avoir un nouveau compagnon mais aussi ses doutes, ses tendances suicidaires qui l’avaient déjà menée au bord du gouffre.

Province chabrolienne

Et puis il y a le lieu, Montréal-la-Cluse, bourg de quelques milliers d’âmes, encaissé dans les monts du Haut-Bugey, dont l’économie doit tout à l’industrie du plastique.

Elle restitue parfaitement l’atmosphère de cette province chabrolienne, où la vie est monotone mais aussi confortable, sans surprise. Jusqu’au fait divers qui bouleverse la bourgade de 29 000 âmes, fait ressortir les vieilles querelles, les préjugés toujours vivaces. Préjugés, présomption de culpabilité même, qui vont amener les enquêteurs de la gendarmerie à se pencher sur le cas de Gérald Thomassin.

Comédien révélé à 16 ans par Jacques Doillon dans un film au titre faussement prémonitoire Le Petit Criminel. Un petit gars de la banlieue parisienne, délaissé par sa mère déséquilibrée, recueilli par la DDASS puis placé dans une famille d’accueil où son frère et lui seront sans doute abusés… Malgré une vingtaine de films à son actif, une intelligence indéniable, il navigue encore, à plus de 40 ans, entre les amours douloureuses, les potes, les squats et la défonce…

Par les méandres du destin, il se trouve au mauvais endroit, au mauvais moment : son minuscule appartement, qu’il appelle “sa grotte”, fait face au bureau de poste où a été assassinée cette femme qu’il connaît à peine. Il est promu principal suspect…

Et il est au centre du livre, fascinant, de l’écrivaine. Son portait, d’une justesse troublante, renforce encore la magistrale réussite de l’ensemble.


L’inconnu de la poste – Florence Aubenas, éditions de l’Olivier, 240 p., 19 €.

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