Femmes, danse et radicalité. Le thème du festival “Sens dessus dessous” 2018 tient en un mot : Women. Une édition choc, avec des artistes plus que jamais engagées.
Des héritières tout autant révolutionnaires que leurs aînées
Pour cette 6e édition de “Sens dessus dessous”, la directrice de la Maison de la danse a choisi pour thème Women, sans esprit de discrimination positive mais en faisant plusieurs constats sur la situation des femmes dans la danse. “L’histoire de la danse, explique Dominique Hervieu, a été marquée par des femmes révolutionnaires comme Isadora Duncan, Loïe Fuller, Martha Graham au début du XXe siècle, puis plus tard Pina Bausch, Maguy Marin. Je voulais démontrer qu’elles avaient leurs héritières, notamment dans la jeune génération, et que celles-ci sont porteuses d’une réflexion qui peut être tout autant révolutionnaire. De manière générale, je fais ce constat que la parité entre les femmes et les hommes s’est étonnamment déséquilibrée, tant au niveau des chorégraphes qu’à la direction des centres nationaux chorégraphiques, qui aujourd’hui sont très masculins. On est dans une sorte de creux, mais cela va changer car tout est en mouvement, et ce qui m’intéresse, entre autres, dans cette programmation, c’est de mettre en commun de jeunes chorégraphes et des figures importantes comme Maguy Marin et Robyn Orlin.” Dominique Hervieu l’affirme sans détour, et plus que précédemment, cette édition sera très engagée et très radicale, tant au niveau des contenus que de la forme artistique. Ce qui donne au public une belle occasion de sortir des chemins de traverse et de se confronter à une autre vision de la danse, faite de prises de risque et de cohérence artistique.
La procession de Nacera Belaza
Jeudi 22 février à 20h – au musée des Confluences
Invité à rejoindre Nacera Belaza au musée des Confluences, le public va certainement vivre une expérience unique avec cette chorégraphe qui propose une immersion in situ qui s’adapte aux contraintes sonores, lumineuses et architecturales du lieu. Avec son travail tout en lenteur, en intériorité, qui explore le rituel et la transe, Nacera Belaza intègre le spectateur dans cette procession afin de lui faire découvrir d’autres rapports à l’espace et au temps, de le mettre en situation d’“objet déplacé” et de provoquer en lui tout un imaginaire. Le pari est osé et fragile, car il faut pour cela que le public suive les propositions et s’investisse tout autant. Mais, lorsque l’on a déjà vu la beauté et la sincérité de son travail, on sait que le pari se prend les yeux fermés !
La claque du festival : Oona Doherty
Lundi 26 février à 19h30 – à la Maison de la danse
Une claque. C’est ce que nous promet Dominique Hervieu avec la découverte de cette chorégraphe irlandaise de 30 ans qui vient à Lyon pour la première fois. Issue du hip-hop, très engagée politiquement, Oona Doherty vit à Belfast ; elle s’est fait connaître avec des performances physiquement spectaculaires, et un corps qui à lui seul est capable de faire surgir la violence sociale, les stigmates d’une guerre civile, la colère, le désir et l’épuisement, tout ce que porte la ville de Belfast. “Elle est une Ken Loach en solo !” clame Dominique Hervieu. Alors qu’en 2015 elle animait des ateliers de danse dans un centre de détention pour mineurs, elle a créé Hope Hunt, résultat de son observation de ces jeunes qui, pour elle, ont tous subi la violence : celle d’un père, de la société, de la pauvreté, d’un manque d’éducation, ne faisant que tomber et retomber. La pièce est constituée de fragments d’interviews, d’extraits de la bande originale du film La Haine, de poèmes, de dialogues imaginaires tandis que la danseuse crache les mots en même temps qu’une gestuelle à la fois urbaine et agressive. À découvrir !
Maguy Marin, la frontale
Mardi 27 à 20h30 et mercredi 28 février à 19h30 – à la Maison de la danse
“Maguy Marin, on ne sait jamais ce qu’elle va faire, dit Dominique Hervieu. On sait juste ce qu’elle est : très politique, frontale, sans nuances quant à ses propos sur le néo-libéralisme. Avec toujours cette cohérence entre un discours très direct et une mise en scène sophistiquée.” Alors, comme à chacune de ses créations – les dernières étaient fulgurantes –, on espère le choc, la rencontre avec une des rares artistes françaises qui met l’acte de danser en phase avec l’acte de penser la société. Pour cette nouvelle création (intitulée Deux mille dix-sept), elle s’inspire de Propaganda, un livre écrit en 1928 par le neveu américain de Sigmund Freud, Edward Bernays, qui expose sans détour les grands principes de manipulation mentale de masse et qu’il appelait “La fabrique du consentement”. Sans oublier de rebondir vers aujourd’hui et de dénoncer l’obsolescence programmée des hommes et des femmes qui ne s’adaptent pas aux cases de la concurrence et de la rentabilité…
Jann Gallois, la jeunesse n’attend pas…
Mercredi 28 à 20h et jeudi 1er mars à 19h30 – à l’espace Albert-Camus (Bron)
Issue du hip-hop, Jann Gallois a tout juste 25 ans et fait déjà beaucoup parler d’elle. Dans Compact, un précédent travail, celle qui aime travailler avec la notion de contraintes expérimentait ce qui se jouait entre deux personnes qui restaient collées pendant une demi-heure. Avec Quintette, qu’elle présente ici, elle explore la notion d’union et de désunion de cinq corps, les façons dont un corps peut être traversé par la simple présence d’autres corps, un individu par la présence des autres. Une recherche qu’elle situe dans un contexte politique, social et économique toujours plus tendu, avec cette difficulté que nous avons à vivre ensemble. “Un travail extrême, selon Dominique Hervieu, très engagé physiquement, avec de vraies contraintes imposées ; sa compagnie s’appelle BurnOut, ce n’est pas un hasard !”
Le requiem de Robyn Orlin
Vendredi 2 et samedi 3 mars à 20h30 – à la Maison de la danse
Les Lyonnais connaissent la chorégraphe sud-africaine Robyn Orlin et son engagement politique, qui dénonce depuis de nombreuses années le racisme, la stigmatisation des différences et l’homophobie. Alors qu’en 2015 l’Afrique du Sud commémorait ses vingt ans de liberté et qu’on y parle d’égalité des sexes, elle ne trouve toujours pas de réponse à l’homophobie et à la pratique du “viol correctif ” qui continuent à se répandre dans ce pays. Elle revient ici avec un solo et un interprète (Albert Khoza) qui représente la génération future, sur qui repose le jusqu’au-boutisme de son propos. Avec cette création qualifiée de “requiem pour l’humanité”, tous les deux arpentent le chemin de l’altérité, convaincus que la danse est un moyen de contourner les idées reçues, une arme de mémoire et de combat.
(La)Horde, la danse post-Internet
Samedi 3 mars à 19h – à la Maison de la danse
(La)Horde est un collectif constitué de deux garçons et d’une femme, dont la danse s’inspire du jump style, danse amateur faite de sauts enchaînés sur un rythme cardiaque effréné. Leur travail se développe autour de vidéos, performances, installations qui invite aussi des amateurs rencontrés via une plateforme Internet qu’ils ont créée pour les rendre plus visibles. Le jump style est pratiqué notamment dans les pays de l’Est par des jeunes souvent isolés, cloîtrés dans leur chambre, qui se filment pour les réseaux sociaux. Ces jumpers incarnent une danse populaire post-Internet, qui émancipe et fédère tout un réseau de danseurs. Derrière ce terme emprunté à l’art contemporain, leur objectif est bien de démontrer qu’ils ne se contentent pas d’un travail fait à partir des vidéos postées sur Internet mais de faire comprendre que le corps est impliqué différemment aujourd’hui dans des espaces on line et off line, en 3D et en 2D.
Aïcha M’Barek et Hafiz Dhaou, la danse organique
Lundi 5 mars à 20h – à l’espace Albert-Camus (Bron)
Véritable succès public et critique, Narcose, du couple Aïcha M’Barek et Hafiz Dhaou, nous plonge dans un état de corps en apnée, un silence intérieur, un coma exploratoire qui exhorte le corps à sortir de l’asphyxie, réagir rapidement et trouver le mouvement. “La narcose, dit Aïcha M’Barek, c’est un état du cerveau quand il est privé d’oxygène, ce manque peut provoquer des hallucinations, une désorganisation de la motricité, un manque de coordination et altérer la conscience. Et ainsi troubler la frontière entre vérité et réalité.” C’est autour de cet état que l’on retrouve l’engagement artistique des deux chorégraphes qui s’immiscent dans ce va-et-vient entre le corps en état de dormance et le cerveau conscient qui produit des images. “La narcose, ajoute Hafiz Dhaou, est le reflet d’une société qui s’appauvrit en oxygène. Quand je dis oxygène, je veux dire l’autre, l’humain et ce qu’il irrigue, diffuse. Hélas, la société s’organise pour remettre en question toutes ces valeurs.”
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