C’est un petit morceau d’histoire – bien courte les concernant – qui vient se produire à Lyon cet automne en la personne des Sisters of Mercy, formation menée par le marmoréen Andrew Eldritch, aphone sur disque depuis trente-trois ans mais toujours présent sur scène. Attention, madeleine. Bien noire, la madeleine.
En 2023, The Sisters of Mercy fêtent un sacré anniversaire mais un drôle d’anniversaire : voilà trente ans que le groupe de Leeds à l’emphase sépulcrale n’a pas publié le moindre disque. Avouez que ça se fête, tous les groupes ne peuvent pas en dire autant.
Car oui, The Sisters of Mercy est toujours en formation, enfin en formation, très serrée la formation, le chanteur et leader Andrew Eldritch ayant toujours été le seul membre permanent de cette entité à géométrie variable (qui a abrité des membres futurs ou passés de groupes comme Dead or Alive ou les punks Vivelle Dop de Sigue Sigue Sputnik).
Synthés cristallins
Il y a bien un autre membre illustre dans le groupe, l’iconique Doktor Avalanche, mais c’est une boîte à rythmes, alors bon. Voilà quelques considérations qui posent le décor de ce morceau de bravoure du rock gothique des années 80-90. The Sisters of Mercy, c’est quoi ?
Eh bien des synthés cristallins poussés à fond sur des mélodies qui voudraient rejouer le temps des cathédrales (ou des stades de foot), une rythmique martiale pour ne pas dire à l’allemande, une voix de baryton pas du tout martin qui fouille les tréfonds de l’âme (une voix qu’on peut trouver ridicule mais qui, au vrai, est assez impressionnante), des textes cinglants souvent teintés d’ironie.
Le nom vient, évidemment, tout le monde l’avait deviné, de la chanson de Leonard Cohen, The Sisters of Mercy, qui ne parle pas exactement de bonnes sœurs et au départ ne se destine qu’au studio. Il se ravise bien vite malgré le manque de présence scénique de Doktor Avalanche.
À peine sorti le premier album First and Last and Always, typique de l’esthétique gothique glacée du moment mais qui n’abandonne pas les mélodies (une certaine parenté avec The Cure mais en moins complexe) que le groupe explose. S’ensuit une controverse légèrement infantile sur la paternité du nom puis Eldritch migre en la riante Hambourg où ses atmosphères d’Asgaard dévasté trouvent le meilleur des cocons.
Oncle Fétide
C’est ainsi que naît Floodland, où scintillent les synthés et plane le timbre de diva de Patricia Morrison, nouvellement engagée. Mais surtout un nid à tubes pas du tout calibré pour les radios tant ils sortent les triples rallonges.
Derrière les emphatiques Mother Russia et Lucretia My Reflection à la redoutable ligne de basse, ou le slow lacrymal au piano 1959, c’est le symphonique et choral This Corrosion qui arrache tout et fait grimper l’album dans les charts (9e en Angleterre).
Trois ans plus tard, Eldritch sent le vent des années 90 tourner et met les synthés à la casse pour muscler son jeu et ses guitares. C’est Vision Thing, dont le titre est tiré d’une expression de George Bush père, alors président des États-Unis qui, lorsqu’on lui reproche l’absence de vision de sa politique, stigmatise régulièrement, ce “truc de la vision”, cher aux journalistes et pour lui inutile.
L’album est en réalité une descente en flammes de la politique extérieure américaine et dont la guerre du Golfe qui vient d’éclater est la cerise sur le gâteau. Martial et très heavy rock, l’album déconcerte les fans portés sur les corbeaux goths (une esthétique à laquelle Eldritch n’a jamais voulu appartenir) et se révèle être un disque bien meilleur qu’il n’y paraît, qui contient son lot de tubes potentiels.
Puis plus rien ou presque, The Sisters of Mercy ne sortira plus le moindre véritable album original (Eldritch tâtera bien un peu de l’électro mais mal), seulement des compilations. Reformé en 1996, le groupe monte régulièrement sur scène se permettant même d’y dévoiler de nouveaux morceaux non publiés.
Alors certes, aujourd’hui Andrew Eldritch ressemble moins au corbeau huilé couvert de cuir qu’il jouait avec affectation et morgue qu’à l’oncle Fétide de la famille Addams mais c’est parce qu’il ne fait jamais bon vieillir en parallèle de ses morceaux de jeunesse. Mais du moment que lesdits morceaux, eux, ne vieillissent pas.
The Sisters of Mercy – Le 17 octobre au Transbordeur