Si la reprise des affaires musicales pour la énième fois donne physiquement des envies de concerts et de live, elle provoque aussi un appétit de nouveautés discographiques. Ça tombe bien, quelques belles sorties lyonnaises arrivent groupées dans les bacs, émanant de figures bien connues ou de découvertes à suivre.
Prohom, colère apaisée
Brille (Single Bel)
L’an dernier, Prohom avait publié sur le Net un titre coup de poing à l’intention du pouvoir politique : d’aller mourir ni plus ni moins. Une sorte d’exutoire rapé volontairement provocateur, intitulé Même pas désolé et qui pouvait laisser croire à la tonalité guerrière d’un futur album.
Le voilà pourtant qui revient en cette rentrée avec un long format nettement plus optimiste, jusque dans son titre Brille. Même si chez Prohom la colère pointe toujours quelque part, c’est avant tout un hymne à la beauté du monde et de la vie sans naïveté toutefois, une invitation à prendre son temps et à contempler, à prendre soin de soi et de la Terre (le très beau Aujourd’hui) comme conditions au bonheur.
Le chanteur serait-il devenu un vieux sage (à qui néanmoins il ne faut pas espérer faire la grimace) ? Toujours est-il que le privilège de l’âge l’a sûrement apaisé, de même peut-être que le chemin de Compostelle effectué en entier en 2015 et qu’il documentait sur les réseaux sociaux.
Si l’on est loin de l’album inaugural de 2002, et c’est normal, reste que Prohom demeure tout de même à la tête d’une belle petite entreprise électro-rock distillée la plupart du temps en spoken word, qui donne pas mal envie de réfléchir en dansant, à moins que ce ne soit l’inverse, comme y incite le single Tu peux même danser. Brillant, comme son titre l’indique.
Delacourt, hydre à deux têtes
Bilbao (Aaki Records)
Delacourt, c’est le projet de deux célèbres sœurs de la scène lyonnaise, Amélie et Noémie Lacaf, plus connues sous les pseudonymes de Billie et Morikan, enfin réunies.
Enfin, car il semble que cela fait un moment que les deux chanteuses pensent à faire projet commun, elles qui avaient jusque-là surtout parsemé la toile et Youtube de reprises improvisées.
Cette fois, la réunion est officielle et plutôt bienvenue. Elle emprunte même son nom à la grand-mère des deux sœurs qui était peintre. Est-ce la sororité ou les gènes qui font que leurs deux voix se mêlent avec autant de grâce et se baladent avec une telle aisance dans les harmonies vocales ?
Toujours est-il que l’EP Bilbao, porté par le single du même nom et un clip solaire, risque de toucher les amateurs de chanson française à la grave légèreté.
Ici l’on a l’étrange sensation d’entendre Kate Bush s’essayer à la bossanova et à tout un tas de rythmiques du soleil. Servies par les plumes de Cléa Vincent, Belle du Berry, Lily Luca ou Zaza Fournier, c’est toute la réussite de Delacourt que d’élever ce mélange et ces références en un style personnel, de redonner aux années 80 une certaine contemporanéité allant au-delà de l’exercice ironique.
Et de faire de l’alliance de deux frangines, une seule entité, une belle hydre à deux têtes et deux voix qui auraient le pouvoir de prolonger l’été.
Eliz Murad, hommage à Beyrouth
Apocalypsna (Audioswim)
Cela fait à peine deux ans qu’Eliz Murad a emménagé à Lyon, où elle travaille. Et encore n’y a-t-elle connu que le confinement.
L’occasion pour la Franco-libanaise, née à Paris de parents venus du pays du cèdre et chanteuse pendant dix ans du duo parisien Teleferik, sorte de The Kills aux orientations orientales, de se livrer à une introspection pour accoucher d’un projet solo plus conforme à ses envies personnelles, magnifier un fond d’égoïsme bienvenu.
Le résultat : un genre d’électro-rock chanté en arabe sur un EP en hommage à Beyrouth, sa ville de cœur et de sang, victime d’une effroyable explosion il y a un peu plus d’un an. Titre de l’objet : Apocalypsna – on note le clin d’œil à Apocalypse Now.
Femme de tête, empreinte d’une chouette coolitude, capable de noirceur comme d’embardées lumineuses, elle y dénonce la négrophobie (notamment dans les pays arabes) en sortie de l’affaire George Floyd (Lé Badna), une passion vécue avec une “sirène” rencontrée en isolement (7ooriyé) et le confinement qui rend fou (Lockdown, fiévreux) et donc Beyrouth, le long d’une ballade languide (Beirut), une chanson dont elle reverse les droits à une association de victimes.
En quatre chansons à peine, on apprend à connaître la jeune femme autant que l’artiste. Une belle découverte qu’il faudra suivre de près, quand bien même elle s’apprête à aller vivre à Saint-Étienne. Personne n’est parfait.
Écran Total, duo pop
Schaerbeek Love (Schaerbeek Love)
Écran Total est la rencontre de sensibilités artistiques, celles de Camille – world et jazz – et Margaux – résolument pop – hantées par notre rapport aux écrans – d’où le nom – et donc au monde, notre quotidien aliéné par l’hyperconnexion et dans lequel l’amour serait quand même possible.
Le projet a à peine deux ans, mais toutes deux ont mis d’entrée les bouchées doubles, et est entré très tôt, avec le titre Rayon vert, dans les papiers de La Souterraine, qui défriche le territoire pop hexagonal à la recherche des groupes de demain et tant qu’à faire d’aujourd’hui.
La légende racontant que le duo a écrit d’emblée 6 titres en 6 jours, le voilà présentant déjà un premier EP, Schaerbeek Love, du nom de la ville belge où il fut enregistré.
Musicalement, cela donne quelque chose entre une funk-pop ondulante aux claviers crémeux et aux basses rondes comme des queues de pelle, et un trip-hop 2.0 aux vertus hypnotiques (un chant glacé et naïf à la fois, exempt de vibes), aux accointances easy listening et aux résonances multiples (ici des accents world, là des harmonies à la Robert Wyatt, rarement croisé dans un tel contexte).
Il n’est pas si courant d’accoucher en si peu de mois d’existence d’un EP aussi abouti. Cela en dit long sur le potentiel du duo lyonnais, métamorphosé en quintet pour la scène.