À l’occasion de la reprise de Double moi, la création bilingue en langue des signes de la metteure en scène Anne De Boissy au Nouveau Théâtre du 8ème, Lyon Capitale est parti à la rencontre d’artistes qui ont choisi de convier la langue des signes sur scène touchant ainsi les spectateurs sourds et malentendants.
Alors qu’on s’attendait à parler d’engagement et de démarches sociales avec Anne De Boissy, du Nth8, et Carine Pauchon, dramaturge et metteur en scène de la Compagnie In Time -la première compagnie lyonnaise à avoir créé une partie réservée à la création bilingue dans son projet artistique-, c’est surtout de nécessité artistique et de passion pour le monde du silence dont il a été question…
“Quand on parle de mon travail on me classe au mieux dans “les créations bilingues” ou de manière plus péjorative dans “les spectacles handicapés”. Moi personnellement je travaille avec des comédiens sourds comme je travaillerais avec des comédiens italiens ou espagnols”, analyse Carine Pauchon quelque peu excédée par le caractère réducteur de la catégorisation de ses créations. “Je pense que si je n’étais pas dans ce vrai désir de travailler sur cette langue, je percevrais tout en terme de handicap alors que là, je découvre ce monde sous un filtre positif”, analyse Anne De Boissy dont la plongée dans la langue des signes lui a permis de se réapproprier son corps et de remettre en question toute sa technique de jeu. La comédienne s’étonne aussi qu’aujourd’hui, son rapport à la littérature ait évolué grâce à la langue des signes, “en travaillant avec Anthony Guyon, traducteur et conseiller en LSF, sourd, j’ai dû m’efforcer à rendre limpide la poétique de textes dont il ne connaissait pas les références. Grâce à cela, j’étais obligée de fabriquer les images des métaphores et de livrer ma propre interprétation du texte”, confie-t-elle.
Une langue en mouvement perpétuel
Comment alors la langue des signes et la langue française se côtoient-elles sur scène ? Les metteurs en scène, la plupart du temps, s’efforcent à ne pas livrer en LSF une simple traduction du texte mais la langue est intégrée au projet et se renouvelle, s’invente parfois, sur scène. “Avec les interprètes de la Compagnie In time on a inventé un vocabulaire spécifique au spectacle vivant ainsi qu’à mon travail de metteur en scène”, explique Carine Pauchon. De même dans Double Moi où la comédienne Géraldine Berger est danseuse ce qui permet une mise en valeur esthétique de la langue des signes et une recherche en perpétuelle évolution autour du geste. Quant au public, il est mixte, composé de sourds, de malentendants et d’entendants. “Tout le monde est dans la même salle au même moment. Ils voient le même spectacle mais différemment, les deux langues ne zooment pas forcément sur la même chose. On s’amuse d’un certain décalage et ça crée l’instant T du jeu. On invente des moments et le QG c’est chaque tête”, s’amuse Anne De Boissy qui avoue cependant que sans une structure comme le Nth8*, son projet n’aurait jamais pu voir le jour puisque souvent perçu, à tort, par les directeurs de théâtre comme un simple événement de médiation socio-culturel…
Double Moi. Du 10 au 18 décembre, au Nouveau Théâtre du 8ème, Lyon 8è. 04 78 78 33 30. www.nth8.com
*Par ailleurs le Nth8 est à l’origine du parcours culturel sourd qui rassemble de nombreux théâtres lyonnais et qui s’efforce aujourd’hui à mettre en place une communication culturelle adaptée au public sourd et malentendant. Une présentation de saison présentant tous les spectacles accessibles aux sourds dans divers théâtres a eu lieu le 24 octobre au Nth8.