A l'occasion du Printemps des poètes, Lyon Capitale a mené des rencontres avec les poètes d’aujourd’hui. La poète Sylvie Fabre G., invitée de cette édition consacrée à la thématique "d’infinis paysages", a répondu à nos interrogations sur la poésie contemporaine et a livré ses impressions sur le Printemps des poètes (retrouvez aussi les interviews des poètes Salah Stétié, Jean-Pierre Luminet, Éric Sarner).
Lyon Capitale : Que vous inspire la thématique d’ « Infinis Paysages » ?
Sylvie Fabre G. : La thématique du paysage traverse et irrigue toute mon œuvre poétique et évidemment elle me touche particulièrement. L’écriture pour moi s’origine dans un rapport au paysage vécu et rêvé, un dehors-dedans que je retrouve aussi dans la marche. La nature prend en charge les émotions humaines mais elle en est aussi le phénomène déclencheur. La poésie naît de la circulation des souffles. Elle est mouvement du cœur vers la pensée. Parce que nous sommes reliés au mystère, à la laideur et à la beauté du monde, nous avons besoin d’une langue capable de dire l’harmonie, la douleur et la finitude, la question du sacré. La poésie permet de traduire, au-delà des apparences, l’esprit des lieux qui nous habitent. Cet entre-deux dans lequel nous nous tenons.
LC : Comment la thématique "d’infinis paysages" résonne-t-elle par rapport à vos écrits ?
SF : Très tôt, presque aussi loin que remontent mes souvenirs, j’ai eu l’intuition que ce monde ne s’arrêtait pas au réel ou plutôt à ses apparences, à ce qu’on en voyait dans la vie habituelle, qu’il avait des marges secrètes et un au-delà que je voulais explorer. Il suffisait de regarder. Je devais avoir sept ou huit ans peut-être, j’ai commencé à passer du temps, le soir surtout, à contempler la montagne et le ciel au-dessus. Je sentais, je crois, que le centre est hors de nous et en nous, que quelque chose était là… Je ne savais pas le nommer mais cela me débordait. Et les mots déjà remuaient. Comme Yves Bonnefoy, je l’appellerais aujourd’hui la présence. Cette expérience, physique parce qu’elle engageait tout le corps, métaphysique parce qu’elle englobait l’esprit et spirituelle parce qu’elle ravissait l’âme, prenait ancrage dans le visible mais me révélait l’invisible. Je la vivais dans l’échappée et la captation, mots que l’on retrouve dans Quelque chose, quelqu’un et dans beaucoup de mes livres.
LC : La programmation décline la thématique au sens large, y compris en incluant une dimension sociétale et politique avec les thèmes de frontières et des sans-papiers. Le poète doit-il jouer un rôle politique ? La poésie est-elle un contre-pouvoir ?
SF : Plusieurs de mes poèmes abordent ce thème de la frontière ou de l’exil. Le poète est une conscience. Son interrogation sur le malheur du monde, le mystère du mal est incessante. Il appartient à la communauté humaine et son œuvre ne peut que résonner dans sa rumeur. Plusieurs de mes poèmes sont nés d’images vues à la télévision ou d’articles lus dans les journaux ou sur Internet qui ont provoqué mon indignation ou ma tristesse. J’ai longtemps milité à Amnesty internationale et le poème « La mesure, l’infini » parle des frontières qui séparent les hommes mais aussi de leurs aspirations communes à un monde plus juste. Nous sommes des êtres de passage et de cri. La promesse qui nous a été faite n’est pas encore tenue. Le poète, en tant que citoyen comme un autre, peut avoir un rôle politique mais sa poésie ne doit pas être inféodée à un parti. Je pense à E. Glissant ou A. Cheddid qui viennent de mourir et qui ont su garder toute leur liberté de parole tout en apportant un message de fraternité et d’ouverture aux hommes.
LC : Quelle place occupe d’après vous la poésie dans la société d’aujourd’hui ? Et pour quelles raisons?
SF : La poésie a une place mineure dans la littérature d’aujourd’hui mais ce n’est pas étonnant. Elle va à l’encontre de ce que notre société nous propose comme valeurs : l’argent, le pouvoir, la course aux biens matériels, le divertissement au sens pascalien, la communication qui sacrifie la rigueur et la richesse de la langue. La poésie pourtant continue à exister, en témoignent les nombreux sites, les lectures et les rencontres toujours possibles avec des lecteurs, les manifestations comme le Printemps des poètes ou le travail de gens passionnés : Thierry Renard et l’Association Pandora l’illustrent bien. Si la poésie ne peut pas changer le monde, l’usage qu’elle fait du langage, l’engagement de l’être qu’elle propose peut l’éclairer autrement.
LC: Pour des lecteurs qui ne connaîtraient pas votre œuvre, quels ouvrages leur conseilleriez-vous pour découvrir votre univers ?
SF : Je leur conseillerai Les yeux levés ou l’Isère qui sont en résonance avec la thématique du paysage dont nous avons parlé. Et L’autre lumière ou Corps subtil centrés sur la quête de l’amour et de la langue qui l’exprime. Le Génie des rencontres, récits en prose, aussi qui célèbre en une série de portraits de gens anonymes ou connus la rencontre essentielle.
LC : Quelles œuvres poétiques vous ont influencé ou vous ont accompagné dans votre vie ?
SF : Il y en a tellement ! Je lis depuis l’adolescence de la poésie. Mes premières découvertes ont été les poètes de la Pléiade, les romantiques et les symbolistes : Le Ronsard des Amours, le Hugo des Contemplations, Les filles du feu de Nerval et bien sûr les Fleurs du mal de Baudelaire. Ensuite sont venus Rimbaud et les Surréalistes qui ont définitivement infléchi mon parcours. Puis d’autres poètes français ou étrangers : R. M. Rilke, E. Dickinson, S. Plath, M. Tsvetaieva, K. Raine, Pasolini, Pavese. Les poètes italiens m’accompagnent en ce moment, de même que P. Jaccottet, J. Malrieu, A. Pizarnik et, parmi mes amis, C. Bobin, B. Noël, C. L. Combet, H. Dorion, P. Laupin, J. P. Chambon, C. Margat et surtout F. Cheng avec qui j’ai un dialogue continu.
Rencontre avec les poètes Sylvie Fabre G. et Mickaël Glück, "Écrire la poésie aujourd’hui", le lundi 14 mars à 19h, au Grand Café de la Mairie, Vaulx-en-Velin. Tout le programme de l'édition 2011 du Printemps des poètes à Lyon : https://espacepandora.free.fr/Manifestations/printemps_des_poetes.html