CRITIQUE – Un fait divers, des people, des Louboutin, une cinéaste tendance, une bande-son qui envoie du bois… Le nouveau Sofia Coppola est un beau produit qui, à force de filmer le vide à partir du vide, finit par ressembler à ce qu’il dénonce…
Depuis 1999, Sofia Coppola s’est fait la porte-parole de figures féminines envahies par le spleen, languides et esseulées dans sa trilogie dramatique Virgin Suicides, Lost in Translation et Marie-Antoinette,d’où se dégageait une certaine grâce. Tout en abordant les mêmes thèmes (l’ennui, la solitude), Somewhere venait rompre une filmographie quelque peu girly pour faire de Stephen Dorff un acteur hollywoodien tout aussi esseulé et fragile, dont la fille de 11 ans venait bousculer les mauvaises habitudes. Avec The Bling Ring, la réalisatrice change de braquet en adaptant un fait divers qui avait émoustillé Hollywood, et se fait la chroniqueuse d’une génération obsédée par les apparences et la célébrité.
Louboutintamarre
Tout commence avec un article de Vanity Fair, “Les voleurs portaient des Louboutin”, enquête menée par la journaliste Nancy Jo Sales sur le Bling Ring, un groupe d’adolescents de Los Angeles qui avait dérobé entre 2008 et 2009 plus de 3 millions de dollars en cash, bijoux et vêtements dans les villas de starlettes comme Paris Hilton, Lindsay Lohan ou Megan Fox. Ces lycéens sont le pur produit de leur époque : avides de célébrité, narcissiques et bling bling, constamment connectés aux réseaux sociaux, témoins et moteurs d’une existence futile. Leurs modèles : les vedettes des tabloïds dont les seuls faits d’armes reposent sur le port de fringues de luxe (culotte en option), un passage dans une téléréalité, des frasques ultra médiatisées (sex tapes, bitures, séjours en prison) et une villa assortie à la décapotable. Villas et voitures deviennent donc les principales cibles du Bling Ring, et le film retrace la série de braquages dont il a été l’auteur.
Le mode opératoire est toujours le même : on cible la star en fonction de son actualité (pas compliqué, les people partagent tout en temps réel sur Facebook ou Twitter), on localise la maison via Google Earth puis, arrivés sur les lieux, direction le dressing. Devant les paires de chaussures léopard de Paris Hilton ou les bijoux de Lindsay Lohan, c’est l’extase totale, accompagnée de son lot de “Oh my God !” Une fois le butin en leur possession, les Bling Ring affichent les objets volés sur le Net, s’enivrent, se droguent, en boîte, en voiture, sans la moindre inquiétude.
People have the power
Les vols et leur médiatisation se suivent et se ressemblent dans le film et, puisqu’il n’y a rien d’autre dans leur vie, Sofia Coppola ne montre rien d’autre, faisant éclater la vacuité et la superficialité d’une génération déconnectée du réel, et la fascination qu’exercent sur eux des stars de rien. D’un point de vue formel et pour ne pas lasser, la cinéaste varie les plaisirs, entre images de caméras de surveillance, webcams, smartphones, profil Facebook, immersion totale ou distance de la caméra lors des cambriolages. Les séquences sont montées à un rythme plus rapide et plus nerveux que dans ses précédents films, le tout accompagné d’une bande-son dance/hip hop hyper efficace (exit le pop-rock, place aux Kanye West, Mia et autres Azealia Banks).
Avec The Bling Ring, Coppola semble prendre une nouvelle voie, moins contemplative et mélancolique. D’une vision intimiste et empathique des personnages qui avaient marqué sa filmographie jusqu’ici, elles’attarde davantage ici sur les conséquences d’une culture dominante, celle de la téléréalité et des tabloïds, qui fait rimer tendance et existence, vacuité et célébrité, et qui conduit au drame. Mais, si Coppola épingle, elle n’en joue pas moins le même jeu. La cinéaste est allée jusqu’à tourner dans la vraie villa de Paris Hilton, alimentant ainsi notre voyeurisme et celui dont l’héritière a fait son fond de commerce. L’orgie des marques de luxe à l’écran, les images glamour des cinq ados en fashion victims, les cheveux dans le vent et le mokaccino à la main façon Sex and the City, font du film un objet aussi tendance et cool que les filles des magazines et finit par ressembler à ce qu’il dénonce. Ce cinquième long métrage n’en reste pas moins intéressant pour le miroir qu’il tend, porté par un humour souvent mordant et de jeunes acteurs talentueux.
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The Bling Ring, de Sofia Coppola, 2013, 1h30, couleur. Avec Emma Watson, Israel Broussard, Taissa Farmiga, Claire Julien et Katie Chang. En salles à partir de ce mercredi 12 juin.