Un personnage touchant et drôle, des dialogues percutants extrêmement bien dits (ou mimés), un décor tellement léché qu’on pourrait y habiter, musique et lumière à l’unisson. Ne manquez pas le retour d’Edwige/Ultra-Girl à l’Élysée – et n’ayez pas peur de Schopenhauer.
Edwige a douze ans, Edwige a dix-sept ans, Edwige lit, Edwige rêve… et tout d’un coup apparaît : Ultra-Girl ! La saison débute avec un bis au théâtre de l’Élysée. Un deuxième passage bien mérité pour l’Ultra-Girl de Cédric Roulliat, sa première pièce et sa première mise en scène – en tout cas animée, car les tableaux composés par ce photographe relèvent depuis longtemps de cet art.
Celle qui s’anime ici dans le tableau s’appelle donc Edwige. Elle est née à Lyon (quelque part sur la ligne 33), est allée à la fac pour apprendre la langue entendue dans les films qu’elle va voir/revoir/re-revoir au Carnot ou au Stella, et aujourd’hui traduit les dialogues des comics où apparaît la super-héroïne Ultra-Girl. Apparaît… devant nous. La scène – une main, un gant, des doigts qui progressent au détour d’un mur, rouges – est fascinante. Et nous hypnotise déjà comme on peut l’être au cinéma. Justement. Flash-back, play-back, arrêt sur image, cut : Ultra-Girl rembobine la vie d’Edwige. En couleurs, celles des années soixante (aux murs et en robes), et en musique sur la platine d’où spirale la voix d’Ella. Corps, émois, flirts, fantasmes harlequinesques et rencontres ratées, que la voix d’Edwige sauve de l’oubli en rattrapant le fil de la mémoire. Le téléphone sonne, nouvelle scène. Jusqu’à l’image finale, qui nous fait chavirer.
Dans le salon d’Edwige, deux splendides actrices (Laure Giappiconi et Sahra Daugreilh) se lancent le texte et relancent les citations (films et séries, cette pièce est aussi un quiz si ça vous tente), sans un accroc, y compris quand elles le miment. Tissant sous nos yeux l’intimité des deux personnages par le ballet de leurs voix et le velours de leurs regards. Quand elles ne sont pas interrompues, bousculées parfois, chamboulées, irritées par le passage d’un homme, grise tige à petite moustache mais verbe surprise (impeccable David Bescond), d’abord réparateur de lave-linge (révision électroménagère garantie) puis Mr Jones transi trop tard et enfin celui qu’on attend depuis le début : Schopenhauer himself. Le match peut commencer. N’ayez pas peur, aucun besoin d’une maîtrise (comme on disait dans les années 80) de philo pour suivre. Il suffit d’avoir été adolescent (à Lyon est un atout) et d’aimer se faire un film.