CRITIQUE – Portée par une épatante distribution, J’ai pris mon père sur mes épaules, la pièce de Fabrice Melquiot mise en scène par Arnaud Meunier, est l’un des tout meilleurs spectacles de la saison. En tournée ce jeudi et vendredi à Villefranche.
Que peut-il se passer dans la tête d’un quinquagénaire lorsqu’il apprend qu’un vilain crabe le ronge de l’intérieur, que les métastases se multiplient depuis son genou enflé ? Qu’il est trop tard pour espérer, plus que quelques semaines, un mois, deux peut-être, sur cette terre… C’est ce qui arrive à Roch (interprété par un formidable Philippe Torreton), père d’un jeune homme à peine sorti de l’adolescence, Énée. Il enrage, bien sûr. Mais surtout il encaisse. À sa manière, une espèce de résignation digne. Autour de lui, la vie continue. Elle continuera sans lui. Cette vie, c’est celle d’une communauté, une bande, une famille. Ils affrontent les aléas du quotidien, toujours les mêmes, le chômage, ou un boulot sans intérêt et mal payé. Les virées au kebab, où l’on se retrouve dans un joyeux mélange de générations et d’origines. Les moments d’amour qui trouent la grisaille. L’amitié qu’il faut maintenir malgré les trahisons. Et les rêves. Les rêves qui permettent de tenir en espérant des jours meilleurs. Ou plutôt une fin meilleure pour Roch. À cet effet, le fils, la femme aimée (l’époustouflante Rachida Brakni), les amis, les proches ont organisé une collecte. Quelques centaines d’euros ont été patiemment mis de côté, glissés dans une lézarde de l’appartement de Roch. Il partira avec son fils, faire un dernier voyage vers le “Far West” de l’Europe, le Portugal. Enfin, il devrait partir…
C’est autour de cette trame que se tisse le texte de Fabrice Melquiot. Une manière de fresque qui, en presque trois heures qui passent comme un souffle, éclaire la vie d’une dizaine de personnages côtoyant celui qui va mourir. Le décor, imposant et jouant sur plusieurs niveaux, nous plonge dans l’une de ces banlieues anonymes que l’on trouve autour des grandes villes françaises. C’est une tranche de vie, épaisse, saignante, intense, gorgée d’humour mais aussi de poésie. On dévore !