© Jean-Louis Fernandez

Théâtre : Fraternité, de la science-fiction à hauteur d’homme

Avec Fraternité, conte fantastique, la metteure en scène Caroline Guiela Nguyen joue avec les codes de la science-fiction, mais puise dans le réel pour nous livrer un spectacle bouleversant. C’est jusqu’au 15 janvier aux Célestins.

De Christopher Nolan à Alfonso Cuarón, en passant par Denis Villeneuve, le cinéma ou les séries de science fiction inventent de nouvelles formes narratives pour imaginer le futur. Car il ne s’agit plus tant de sauver l’humanité - comme dans les bons vieux blockbusters des années 90 - que de sonder son âme. Cela traduit sans nul doute une prise de conscience nouvelle de nos propres responsabilités sur l’avenir de notre planète, plutôt que de voir des menaces exogènes.

D’une certaine manière, c’est cette interaction de l’être humain avec l’univers en forme de boucle qu’explore Caroline Guiela Nguyen dans son dernier spectacle, Fraternité, conte fantastique, qui s’aventure sur le terrain de la science-fiction.

Le point de départ de cette pièce est la disparition brutale et inexpliquée d’une partie de l’humanité lors d’une éclipse solaire. Face à la perte de leurs parents, enfants ou compagnes, des femmes et hommes de tous âges et de toutes origines s’organisent pour s’entraider dans des "Centres de Soins et de Consolation".

© Jean-Louis Fernandez

Entre déni et espoirs, ils cherchent le moyen de renouer le contact avec les disparus, à travers l’enregistrement de messages en forme de capsules temporelles ou dans l’attente de reproduction du phénomène, dont ils espèrent qu’il pourrait faire revenir leurs proches.

Or, chacun de leur échec réduit petit à petit leurs espoirs, de même que leur pulsation cardiaque diminue avec le temps en provoquant un bouleversement dans le cosmos.


Que doit-on effacer de sa mémoire pour continuer à vivre ?


Il est très rare que le théâtre s’empare de science-fiction, genre qui nécessite des moyens qu’une scène n’offre pas. Mais là où le cinéma peut déployer une technologie dispendieuse et un suspense calibré, Fraternité exploite avec brio le langage du théâtre, ses possibilités scéniques nouvelles - comme la vidéo – et son art du jeu vivant, en suscitant une émotion qui maintient toujours le spectateur à hauteur d’homme.

Comment dialoguer avec les absents ? Comment garder espoir ou au contraire accepter la perte de l’être aimé. Que doit-on effacer de sa mémoire pour continuer à vivre ?

En réalité, ce que nous trace Fraternité est avant tout un chemin qui mène à la résilience. Face à l’incapacité de faire le deuil ou à l’impossibilité de retrouver le bonheur perdu, chacun devient un "aidant". Et c’est de la puissance de ce qui nous relie aux autres que viendra l’issue.


Fraternité linguistique


Un lien pourtant ténu au départ, en raison des barrières culturelles de ces femmes et hommes de toutes nationalités, mais qui se tisse petit à petit grâce au langage. Ici, on s’aide en se traduisant, chacun étant à son tour le vecteur de cette fraternité linguistique.

Car le spectacle est joué – c’était le cas dans la dernière création de Caroline Guiela Nguyen, Saïgon – dans les langues d’origines des comédiens, comme autant de pièces d’un puzzle qui nécessitent d’être rassemblées.

De la même manière, la distribution intègre des comédiens non-professionnels qui réussissent avec talent à s’affranchir d'un jeu formaté, en conservant leur identité sociale et culturelle. Un peu comme s’ils jouaient leur propre rôle, qu’une fiction – aussi futuriste soit-elle - ne saurait effacer.

Dans Fraternité, Caroline Guiela Nguyen et sa troupe parviennent à dépasser des codes de la science-fiction en puisant dans la diversité et la richesse du monde réel. Ils nous livrent ainsi un spectacle d’une grande humanité.


Fraternité, conte fantastique, aux Célestins Théâtre de Lyon, jusqu'au 15 janvier. www.theatredescelestins.com


 

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