Critique. Claudia Stavisky adapte l’intégralité de La trilogie de la villégiature de Carlo Goldoni aux Célestins. Un spectacle qui, oscillant entre satire sociale et comédie romantique, est porté par des comédiens qui illuminent la pièce grâce à la justesse de leur jeu.
Écrite en 1791 par Carlo Goldoni, cette comédie en trois pièces distinctes suit les péripéties de personnages de la bourgeoisie de Livourne en Italie, à la fin du XVIIIe siècle. Leur oisiveté, leur amour de l’argent et l’obsession de leur réputation offrent à l’auteur vénitien l’occasion de se livrer à une critique féroce de ses contemporains.
Claudia Stavisky a réuni cette trilogie pour en proposer une version complète de 3h40 (entracte compris), transposée dans l’Italie des années 50 et sa dolce vita. Une époque insouciante qui se prête parfaitement aux préoccupations futiles des protagonistes de cette comédie aigre-douce.
On suit ainsi les déboires de Leonardo, jeune bourgeois endetté, et sa capricieuse sœur Vittoria qui s’apprêtent à partir en villégiature dans la campagne livournaise. Un séjour nécessaire pour tenir leur rang social au sein de la haute société italienne, notamment auprès de Filippo et de sa fille Giancita qui est promise à Leonardo. Mais avant de partir, Filippo a aussi invité le jeune Guglielmo qui est secrètement amoureux de la jeune femme…
Une bourgeoisie, qui ne pourra guère masquer plus longtemps ses difficultés financières et surtout sa vacuité morale
Cet arc narratif archi vu et revu offre inévitablement des situations savoureuses, où intrigues amoureuses et nécessité matérielle vont se percuter avec fracas. Au point de fissurer le vernis de cette bourgeoisie, qui ne pourra guère masquer plus longtemps ses difficultés financières et surtout sa vacuité morale. Au point de concevoir les relations amoureuses comme de véritables transactions financières.
Mais ce spectacle ne se contente pas de nous offrir une excellente comédie, oscillant entre marivaudage et critique sociale. Ceci grâce notamment aux comédiens qui poussent leur personnages dans leurs derniers retranchements, en parvenant à restituer toute la complexité des protagonistes et leurs profondes contradictions.
Ainsi dans la naïveté bienveillante de Filippo on distingue le désir impérieux de reconnaissance, dans la légèreté de Vittoria, l’effroi du déclassement alors que la liberté de Giancita n'est que le paravent d'une triste nécessité : celle de se conformer à la société et au patriarcat…
Justesse de jeu
Dans cette distribution, dirigée au cordeau par Claudia Stavisky, les comédiens expérimentés (Bruno Raffaelli, Christiane Cohendy…) donnent la réplique avec talent aux plus jeunes (Pauline Cheviller, Savannah Rol…), sans aucune fausse note et avec une remarquable cohérence, malgré la différence générationnelle. Tous irradient cette pièce de leur justesse de jeu et tiennent le spectateur captif durant près de 4h.
Cette épaisseur donnée par les acteurs aux personnages, leur permet d’aller chercher au plus près la part duelle de notre humanité. Des hommes et femmes, portés par les désirs mais freinés par la raison ou les conventions sociales.
C’est ainsi que, sous couvert d’une farce, ce spectacle se déploie petit à petit, jusqu’au dénouement, en nous tendant un miroir teinté d'amertume qui nous interroge sur nos propres renoncements.
La trilogie de la villégiature, jusqu'au 8 octobre aux Célestins, théâtre de Lyon