Au TNG, Catherine Hargreaves reprend cette semaine son spectacle “Moi, Malvolio”, de Tim Crouch. Un monologue aussi délirant que drôle, tout droit surgi de la pièce de Shakespeare “La Nuit des rois”, dont Malvolio est l’un des personnages.
Bien étrange auteur que le Britannique Tim Crouch, dramaturge contemporain (il est né en 1964) dont l’œuvre, déjà consistante, a conquis la jeune metteuse en scène lyonnaise Catherine Hargreaves. On se souvient qu’elle avait proposé en 2017 une version surprenante, ou plutôt des versions, de sa pièce Un chêne, dans la petite salle de l’Élysée. Plusieurs versions, donc, puisque chaque soir un comédien différent montait sur scène pour y interpréter un rôle qu’il ne connaissait pas ; un curieux hypnotiseur lui soufflait ses réponses. L’un maîtrisant parfaitement son rôle de maître de cérémonie, l’autre découvrant ses répliques avec un naturel qui ne pouvait être feint, ils nous emmenaient au cœur d’une histoire intime et criminelle, tragique et drôle. Expérience unique qui illustre l’originalité du bonhomme.
Lui, Tim Crouch – Elle, Catherine Hargreaves
En ce qui concerne Moi, Malvolio, repris en janvier aux Ateliers, la démarche de création est tout aussi étonnante. Tim Crouch s’est plongé jusqu’au cou dans l’un des chefs-d’œuvre incontestables de William Shakespeare, La Nuit des rois. Pourtant, ce n’est pas vraiment la substantifique moelle qu’il en a retirée – encore que… – mais l’itinéraire particulier d’un personnage, Malvolio, qui pourrait passer pour secondaire dans cette pièce qui les multiplie à foison. Crouch a bien sûr compilé ses répliques, dont l’inoubliable et emblématique “Je me vengerai de vous et de toute votre meute !” qui signe sa disparition de cette gigantesque farce (mais pas de notre imaginaire). Auparavant, il nous aura captivés par sa faconde et amenés à partager sa vision de l’humanité, aussi sombre qu’irrésistiblement comique.
Le pari de la mise en scène de Catherine Hargreaves est d’ancrer Malvolio dans notre modernité. D’en faire une sorte d’humoriste actuel, qui se moque de notre addiction au portable – le texte de Crouch, et à plus forte raison celui de Shakespeare, n’interdit pas d’improviser, au contraire –, notre besoin effréné de consommation, notre goût des plaisirs frivoles et notre refus de réfléchir à notre condition de mortels. Collier de testicules accroché au cou, en caleçon long, en costume d’époque ou nu comme un ver, il apostrophe la salle ou escalade les gradins sous les regards médusés. Quand il ne menace pas de se pendre, trop haut ou trop court, dans une hilarante tentative de suicide.
Il fallait un comédien génial pour endosser ce rôle hors norme. Catherine Hargreaves l’a trouvé en la personne de François Herpeux. Ce jeune acteur, qui s’est déjà illustré auprès de Claudia Stavisky (dans Lorenzaccio) et de Guillaume Bailliart (Merlin), trouve le ton juste, la sincérité idoine. Il parvient même à nous émouvoir, entre deux éclats de rire.