C’est l’un des spectacles les plus attendus de cette saison théâtrale : Un conte de Noël, mis en scène par Julie Deliquet et son incroyable collectif, In Vitro.
La nuit est tombée. Dans un jardin saisi par le froid, une femme d’une soixantaine d’années fume une cigarette dans l’obscurité, assise sur un siège de balançoire. Son fils la rejoint, pour fumer, lui aussi, et parler. Après qu’il lui a demandé du feu, elle dit : “Tu ne m’aimes toujours pas.” Il répond : “Je ne t’ai jamais aimée de toute façon.” Elle lâche alors dans un sourire : “Moi non plus.” La mère est incarnée par Catherine Deneuve, le fils par Mathieu Amalric. La scène, cruelle mais juste, est tirée du film Un conte de Noël, sorti en 2008. Sans doute l’un des tout meilleurs d’Arnaud Desplechin. Outre sa distribution exceptionnelle – les deux acteurs précités, mais aussi Chiara Mastroianni, Hippolyte Girardot, Jean-Paul Roussillon, Anne Consigny, Melvil Poupaud, Emmanuelle Devos… – qui restitue à chaque personnage sa force psychologique idoine, le film s’appuie sur une histoire admirablement écrite. Difficile d’en résumer toute la complexité ; pour l’essentiel, elle montre une famille nombreuse réunie lors d’une soirée de Noël, sous haute tension.
Abel et Junon, vieux couple encore très amoureux, ont convié enfants, petits-enfants, conjoints, cousins dans un but qui n’est pas seulement festif et convivial. Junon a besoin d’une greffe osseuse si elle veut continuer à vivre. Il faut trouver un donneur compatible dans la famille… Sur cette trame, Arnaud Desplechin, épaulé par Emmanuel Bourdieu, a inscrit des répliques incisives, vachardes et des joutes oratoires brillantes qui mettent à nu une vérité toujours blessante. Ce sont ces dialogues qui ont incité Julie Deliquet à s’intéresser au film, au point de vouloir en faire une adaptation théâtrale. Sans doute aussi parce qu’elle a récemment porté à la scène – avec succès – Fanny et Alexandre d’Ingmar Bergman, avec la troupe de la Comédie-Française.
Nouvelle incursion en territoire cinématographique
Mais, pour cette nouvelle incursion en territoire cinématographique, elle a profité du fait que le réalisateur du scénario qu’elle adapte au théâtre est bien vivant. Elle n’a d’ailleurs aucunement hésité à solliciter les conseils et le regard forcément éclairé d’Arnaud Desplechin, qui a répondu favorablement à sa demande, en lui laissant la totale liberté de ses choix dramaturgiques. Tous les ingrédients sont donc là pour susciter notre curiosité. D’autant plus que l’on a suivi avec un plaisir profond les précédents spectacles d’In Vitro. Les réunions familiales, les repas où se retrouvent autour d’une table bientôt transformée en champ de bataille, abusant du vin servi à profusion, des membres d’une même famille et leurs proches, ce sont des scènes que le collectif a exploitées avec bonheur et un humour féroce dans son triptyque théâtral qui explorait les relations humaines et familiales dans les décennies 1970, 1980 et 1990 (présenté en mars 2016 au théâtre de la Croix-Rousse). Des dîners explosifs que l’on avait retrouvés dans Mélancolie(s) en 2017, une création – programmée aussi à la Croix-Rousse – basée sur deux pièces d’Anton Tchekhov, Trois sœurs et Ivanov.
Cette fois, le théâtre de la Croix-Rousse s’est associé avec les Célestins et le Radiant pour ce spectacle d’envergure présenté dans un dispositif bifrontal avec une douzaine de comédiens sur le plateau. Afin que le spectateur assiste en direct, comme un témoin muet, à ce repas de famille explosif, rythmé par les disques vinyles passés par les personnages. Créée en octobre à la Comédie de Saint-Étienne, la pièce a été saluée comme un “bouleversant uppercut théâtral”.