Le directeur du musée d’Art contemporain de Lyon (qu’il dirigeait depuis 1984) prend sa retraite le 13 avril. Pour Lyon Capitale, Thierry Raspail revient sur ce qui l’a guidé dans sa programmation de centaines d’artistes français et internationaux depuis plus de trente ans, dans l’un des temples institutionnels de l’art contemporain.
Lyon Capitale : Vous restez sur trois biennales articulées autour de “la modernité”. S’agit-il d’un mot-clé pour l’ensemble de votre action, depuis le début, en 1984, à Lyon ?
Thierry Raspail : L’actualité artistique est par définition traversée par la modernité. Il faut se pencher sur ses effets et sur la mémoire persistante, surtout avec la globalisation et le post-colonialisme.
Et la “radicalité” ? Avec les mouvements radicaux (la couleur seule, Fluxus, l’arte povera, Kosuth, Filliou) ?
Ce qui semblait radical il y a trente ans est aujourd’hui une interrogation courante, et les œuvres restées dans l’histoire de l’art créent toujours des formes nouvelles.
Avec Dietman, Delvoye, Jan Fabre, vous avez assumé la provocation, notamment via l’humour…
Tout le monde essaie d’épater l’autre. Dans le domaine de l’art contemporain, il y a une grande évolution, notamment à travers le jeune public, qui n’est pas épaté par les mêmes choses que les générations qui le précèdent. L’humour réforme les conventions. Il est irrespectueux, prend ses distances avec l’ordre : tous les fondamentalismes mènent au puritanisme. L’humour interroge la tradition et la met en perspective.
Vous avez retiré une œuvre d’Adel Abdessemed (une vidéo où des poulets brûlent vifs) face aux réactions qu’elle a suscitées sur les réseaux sociaux, accusant l’artiste de maltraitance animale…
Adel Abdessemed a été très affecté par le déchaînement des réseaux sociaux qui, malgré les explications données sur le trucage de l’œuvre, nous a décidé, d’un commun accord, à retirer Printemps de l’exposition. La salle restera telle quelle, avec la vidéo allumée, mais sans image, et Adel Abdessemed viendra dès que possible écrire un message dans la salle, comme il le fait souvent dans ses dessins et ses œuvres. Jusque-là, il ne souhaite pas s’exprimer.
On note des interactions entre les différentes formes d’expression, les nouvelles technologies. En particulier la musique, avec John Cage, la génération La Monte Young, Laurie Anderson…
Oui. D’où Fluxus, qui a œuvré sur ce mixage pour élargir l’image de l’art et de l’artiste. La musique a été “donnée à voir” dans un espace. Laurie Anderson ou The Who ont d’abord fréquenté des écoles d’art. John Cage a beaucoup expérimenté.
Quel bilan artistique feriez-vous depuis “Octobre des arts” en 1984 ?
Nous avons désormais un musée et une collection d’art contemporain (achats et dons des artistes comme Erró ou Yoko Ono). Nous avons associé un musée et une biennale.
Comment avez-vous équilibré les choix entre des monographies consacrées à un seul artiste et les mouvements ?
Il s’agit de rendre compte d’une actualité dans nos limites de surface et de budget, dans un équilibre à trouver. Et des opportunités peuvent se présenter. Ainsi, nous avons pu montrer des œuvres rares de Warhol, Basquiat…
Que diriez-vous des différents lieux utilisés : MBA, halle Tony-Garnier, ELAC, MAC, Sucrière ?
Il n’y avait aucun lieu dominant au départ. Chacun a permis des expériences différentes. L’arrivée du MAC et de la halle Tony-Garnier a tout changé et nous avons pu et pouvons évoluer entre patrimoine et contemporanéité.
Avez-vous des regrets ?
Certains prêts, pour des raisons budgétaires. Et des achats, pour des raisons circonstancielles (décès). Ainsi, une œuvre de Basquiat, une autre de Louise Bourgeois – à qui nous avons consacré la première grande exposition en France –, une de Joseph Beuys…
Vos principales satisfactions ?
L’ouverture de la première Biennale, en 1991. Sa réussite est allée au-delà de l’imagination et montre que même des choses énormes sont possibles. Et puis la qualité de relation avec les artistes ; ce que montre la quantité de dons d’œuvres.
Où en est la création en Auvergne-Rhône-Alpes : artistes, institutions, hors institutions ? Beaucoup vous reprochent de les ignorer…
Tout le monde voudrait en être. Tout est question de mission donnée. Nous n’avons pas mission d’être régionalistes, comme Turin par exemple. Mais nous n’avons pas raté grand-monde ici. Nous avons beaucoup montré : Adilon, Zagari, Lhopital, Le Gentil Garçon, Desgrandchamps… Et puis la biennale a intégré ses “Rendez-vous”.
Vous prenez votre retraite du MAC. De la Biennale aussi ?
Je pars le 14 avril du MAC et de la Biennale. J’assumerai à la rentrée la rétrospective Bernar* Venet. Le musée des Beaux-Arts est statutairement un musée classé, comme ceux de Lille ou Grenoble. Le MAC est lui un musée “contrôlé” ; la ville en est la principale tutelle et nommera mon successeur dans le cadre d’un rapprochement et de la restructuration des musées. La Biennale est une association. Il est très important d’associer l’histoire, la mémoire (musées) et l’actualité (biennale). Garder la biennale à Lyon ne serait pas une “revanche” contre Paris, mais l’opportunité d’installer la ville et la métropole de Lyon au cœur des grands enjeux culturels et économiques.