Tiphaine Raffier, jeune artiste associée au TNP, a réalisé une formidable adaptation scénique du roman éponyme de Philip Roth, Némésis. Œuvre crépusculaire, mais aussi solaire, de l’écrivain américain. Une captivante saga de plus de deux heures trente qui sera à l’affiche de l’institution villeurbannaise du 3 au 9 février. Entretien.
Lyon Capitale : Comment êtes-vous devenue artiste associée au TNP ?
Tiphaine Raffier : Jean Bellorini était venu voir mon spectacle France-Fantôme [créé en 2017, NdlR], alors qu’il n’était pas encore directeur du TNP. Il l’a programmé au théâtre Gérard-Philipe, dont il avait alors la direction, en 2018. Nous avions beaucoup échangé. Et quand il a été nommé à la tête du TNP, j’ai eu la chance d’être artiste associée, plusieurs fois programmée ; pour France-Fantôme, La Réponse des hommes et Némésis. Ce dont je me réjouis puisque j’apprécie vraiment l’équipe et la politique du TNP.
Qu’est-ce qui vous a amenée à vous intéresser au roman de Philip Roth ?
Je travaillais sur une série qui, finalement, ne s’est pas faite, portant sur une épidémie. En faisant des recherches sur ce sujet, j’ai lu Némésis. Bien sûr, il y a le thème : la polio qui arrive dans une banlieue aisée de New York, mais c’est aussi le dernier livre publié par Philip Roth. Très différent de ses premiers livres comme Portnoy et son complexe [troisième roman de Roth, qui fit scandale à sa sortie, en 1969, NdlR]. Le style est plus classique, d’une grande beauté. Il met en avant les questionnements moraux que l’on affronte durant une épidémie, qui renvoient bien sûr à ce que l’on a vécu avec le Covid. Tout en étant différent puisque la polio est par nature une maladie beaucoup plus grave. Qui touche en priorité les enfants.
Comment avez-vous procédé pour adapter le roman ?
C’était plus compliqué que ce que je pensais ! Il a fallu que je me rende compte que l’adaptation est un véritable acte d’écriture. Il fallait que je traduise les forces romanesques en forces théâtrales. Que j’écarte certaines choses essentielles pour le roman mais pas nécessairement pour la scène. De même qu’il a fallu que je mette le zoom sur d’autres choses qui paraissaient anecdotiques dans le livre mais qui se sont révélées essentielles au plateau. Au théâtre, j’aime qu’il y ait de l’attention et de la tension.
Vous avez aussi eu recours à une sorte de voix off pour garder un fil narratif…
Absolument. C’est une voix que l’on a dans le roman, on se demande d’où elle vient… Philip Roth a l’art de nous surprendre, on s’imagine que la voix est celle d’un narrateur omniscient. Or elle va s’incarner dans un personnage que l’on va bel et bien rencontrer. C’est quelque chose d’éminemment théâtral.
C’est intéressant de noter les ressemblances et les différences entre l’épidémie de polio décrite par Philip Roth et l’épidémie de Covid…
Bien sûr ! D’autant que l’épidémie de Covid était juste en train de se terminer quand on a commencé à travailler sur Némésis. Durant la période Covid, nous étions tous devenus des éminents épidémiologistes. C’est quelque chose qui a bouleversé nos vies. Comme celle du héros principal de Némésis, Bucky Cantor. Philip Roth a une approche sociologique et anthropologique de l’épidémie, il montre très bien ce que cela déclenche chez certains. Comment l’épidémie est le révélateur de tous les travers d’une société : le racisme, la déshérence des pouvoirs publics, les théories du complot, les riches qui peuvent partir, les pauvres qui restent, etc. Des choses que l’on a pu également noter lors du Covid.
Vous avez joué le spectacle à Paris, au théâtre de l’Odéon, avant de venir au TNP…
Oui, le spectacle a été très bien accueilli à Paris. Si bien que nous avons une tournée dans toute la France, dont le TNP sera la deuxième étape. C’est une très grosse production, presque opératique, qui nous emmène dans différents univers esthétiques. De plus, dans chaque ville où nous jouons, nous travaillons avec un chœur d’enfants (différent pour chaque ville), qui a une véritable partition à interpréter.
Notre critique
Némésis, un spectacle viral !
Adapter à la scène un roman de la qualité de Némésis était un sacré pari ! Et, bien sûr, on pourrait dire qu’il est impossible de transposer sur scène la richesse et la complexité d’une telle œuvre. N’empêche… Tiphaine Raffier réussit à en retranscrire l’essentiel, tout en donnant à chacun des principaux personnages sa profondeur psychologique. Durant plus de deux heures et demie, elle tient son auditoire à la fois captivé et émerveillé par des images d’une beauté stupéfiante et une interprétation au cordeau des comédiens. Sans compter que l’histoire racontée par Philip Roth, l’arrivée de la polio dans la communauté juive de Newark, le bouleversement qui en découle, est racontée de façon bouleversante. C’est LE spectacle incontournable de ce mois de février.
Némésis – Du 3 au 9 février au TNP