Critique. Au TNP, Christophe Rauck s’empare du puissant texte de Shakespeare qui raconte la chute vertigineuse du roi Richard II. Le comédien Micha Lescot incarne avec brio et une verve juvénile un monarque rongé par son funeste destin.
L’exceptionnelle taille du plateau du TNP offre souvent la possibilité de créer des décors qui transcendent le travail de jeu et de mise en scène. On l’a vu notamment en juin dernier avec Les Messagères, spectacle solaire de Jean Bellorini ou lors de la saison précédente, avec les impressionnants tableaux de l’Île d’Or d’Ariane Mnouchkine.
Dans Richard II, proposé cette semaine au TNP par Christophe Rauck, cet immense plateau semble être à la démesure de l’autorité quasi-divine du huitième roi d’Angleterre de la dynastie Plantagenêt. En déployant successivement les images des différentes institutions du pouvoir sur lesquels s’appuie Richard II pour gouverner sans partage, la scène sait aussi se faire nue pour mieux souligner la solitude du roi déchu et se transforme même en tumultueuse tempête, symbolisant ses turpitudes intérieures.
Une cousinade qui tourne mal
Il faut dire que cette chute, le monarque en est avant tout à l’origine, lorsque, à la mort de son oncle, il confisque l’héritage de son cousin Bolingbroke, profitant d’un conflit opposant ce dernier au Duc de Norfolk pour les bannir tous les deux. Mais Bolingbroke, dans un désir de justice, profite de l’absence de Richard II parti à la guerre en Irlande pour revenir en Angleterre et s’emparer de son trône.
Ce conflit familial qui amène à saper l’autorité royale - où refuser l’arbitraire, selon – est un prétexte idoine selon le metteur en scène Christophe Rauck pour faire résonner le texte de Shakespeare dans le contexte actuel
“La piste que j’ai suivie, c’est cette envie qu’ont les gens en ce moment de destituer les gouvernants : cette colère vis-à-vis du monde politique qui se traduit par la violence avec une volonté de renverser le pouvoir et de faite tomber des têtes. Menaces contre des élus, défiance, détestation du Président…”
Ainsi, à quoi bon adopter des postures jupitériennes lorsque le peuple ne veut plus de vous ou comme ici, lorsque vos courtisans se rangent peu à peu à la cause de votre adversaire, par opportunisme ou par conviction ? C’est un peu le propos de cette pièce qui veut nous faire entrer dans la tête d’un monarque qui voit peu à peu le monde se dérober à sa toute-puissance.
Enfant gâté
Car il faut imaginer un demi-dieu qui a le droit de vie et de mort, perdre soudainement ses divines prérogatives, trahi par les siens, puis traqué comme un animal.
Cette bête blessée, rongée par sa déchéance, c’est Micha Lescot qui l’incarne avec une verve presque juvénile. Tout de blanc vêtu, le comédien se transforme avec subtilité au fil de la pièce. Tout-puissant, ivre de pouvoir, puis cédant à la puérilité, tel un enfant gâté à qui l’on a confisqué son jouet, il mêle - fidèle aux préceptes shakespeariens - les éléments comiques à la tragédie historique.
Le personnage plonge ensuite dans un registre mélancolique qui confine parfois à la folie ou à l’absurde, en trouvant son paroxysme dans la fameuse scène du miroir brisé, métaphore d’une conscience brutale de son état de mortel.
Mais c’est assurément la puissance du texte de Shakespeare, restitué par l’un de ses meilleurs traducteurs, Jean-Michel Déprats, qui donne un souffle intense à cette vertigineuse chute. Si la pièce, écrite en 1595, est dense en raison des multiples personnages et des filiations familiales complexes des maisons d’Angleterre, l’intrigue de Richard II est d’une incroyable modernité. Elle est ici servie par une distribution sans fautes et une mise en scène qui brille par sa limpidité. À ne pas manquer.
Richard II de William Shakespeare, mise en scène Christophe Rauck. Au TNP jusqu’au vendredi 17 novembre.
Par Mathieu Thai