Tout mon amour aux Célestins © Pascale Cholette

"Tout mon amour", aux Célestins : ce qu’il reste aux vivants

Avec Tout mon amour, Arnaud Meunier reprend sur la scène des Célestins la toute première pièce écrite par l’écrivain Laurent Mauvignier en 2012. Une adaptation qui sonde les fêlures d’une famille à nouveau hantée par un drame du passé.

Au départ, Laurent Mauvignier avait imaginé ce texte avec en tête une adaptation cinématographique. C’est peut-être pour cela que la pièce commence à la manière d’une chronique provinciale, registre si cher au cinéma français.

Dans cette pièce, un homme, accompagné de sa femme, retourne dans la demeure familiale à l’occasion de l’enterrement de son père. Un endroit qui, dix ans plus tôt, fut le théâtre d’un terrible drame : la disparition non élucidée de leur fille, dans les bois près de la maison.

"Tout mon amour" aux Célestins © Pascale Cholette

Ils veulent rentrer à Paris au plus vite, comme pour fuir ces douleurs du passé. Mais lui semble encore tiraillé, comme retenu par ce qui le lie à cet endroit. Un père, paysan bourru, dont l’ombre plane encore, mais surtout, une fille, dont il ne se remet pas de la disparition brutale. Il y a aussi ce ce fils, dont le départ du foyer semble avoir été vécu comme une énième perte.

Ressurgissent alors les fantômes du passé. Une jeune femme sonne à la porte et se présente comme leur fille disparue. Sidération, incompréhension… le doute s’installe et l’intrigue semble basculer vers le thriller, prête à dénouer les fils de cette mystérieuse disparition.

En vain. Car en réalité, dans Tout mon amour, plus que la résolution d’un cold case, ce sont plutôt les fêlures de cette famille qui sont mises à jour. Et l’irruption de cette jeune femme vient révéler une forme de schizophrénie familiale, comme si l’hypothèse de son retour était à la fois crainte et désirée.

Les secrets, les illusions, la mort, puis la souffrance de ceux qui restent. On retrouve en partie les thèmes de prédilection de Laurent Mauvignier, écrivain qui aime s’emparer des tragédies de notre époque. Celles du quotidien et des douleurs ordinaires, comme dans Ce que j’appelle l’oubli, texte vertigineux sur les derniers instants d’un SDF, étouffé par des vigiles dans un supermarché. Un texte que Michel Raskine avait brillamment adapté la saison dernière sur la scène des Célestins.

C’est à partir de cette écriture très tranchante que le metteur en scène Arnaud Meunier s’est emparé de Tout mon amour, en déployant la pièce à la manière d’une radioscopie. Laquelle sonde le bonheur avorté d’une famille, leurs liens qui ont été profondément bouleversés par cette disparition, au point de les rendre factices. Illusions, frustrations, sentiments enfouis… Autant de distorsions que chaque comédien s’emploie à restituer avec une grande force émotionnelle.

"Tout mon amour" aux Célestins © Pascale Cholette

Ainsi, Anne Brochet qui endosse le rôle d’une mère dans un registre borderline – peut-être à l’excès - est comme bringuebalée. Entre déni, éructations et souffrance, se refusant à espérer à nouveau, elle assume un rôle sans retenue. Un jeu qui culmine dans une scène d’une immense intensité, quand elle confesse à son fils son impossibilité de l’avoir aimé par loyauté pour sa fille disparue, sur qui "tout son amour" s’est en quelque sorte cristallisé.

"Et maintenant que ça peut être vrai, ce serait impossible d’espérer ?". Philippe Torreton, très convaincant, campe un père s’accrochant à l’espoir et qui tente vainement d’être un point d’équilibre, face aux débordements de sa femme. Mais comme pour chacun des personnages de ce huis-clos familial, le sol se dérobe à ses pieds, faisant vaciller ses certitudes.

Cette pièce au goût amer, se construit sur un texte sombre et laisse peu de place au bonheur. Portée par une mise en scène à la fois puissante et délicate, elle nous amène petit à petit à accepter l’idée même de l’irréparable. Dans la trajectoire sinueuse - mais implacable - de la douleur et du temps.

Tout mon amour, jusqu’au 7 avril aux Célestins

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