Éprouvant une grande passion pour la chorégraphe américaine Trisha Brown, l’Opéra de Lyon lui consacre un festival, avec des pièces transmises au répertoire du ballet mais en accueillant aussi sa compagnie avec deux créations récentes. À ne pas rater.
Formée tout d’abord au jazz, au classique et aux claquettes, Trisha Brown part ensuite chez Martha Graham puis chez Merce Cunningham. Au début des années 1960, elle rejoint la Judson Church de New York, église désaffectée et lieu mythique qui, dès les années 1950, montrait le travail de plasticiens comme Rauschenberg, accueillant ensuite des musiciens minimalistes et des chorégraphes contestataires qui donneront naissance à la post-modern dance. Trisha Brown devient une figure centrale de ce mouvement, qui rejetait la théâtralité et l’émotion de la modern dance (Martha Graham) et le trop de virtuosité et d’esthétique de Cunningham. Dans une Amérique où des mouvements antiracistes, pacifiques, féministes ou gays s’érigent, ces artistes revendiquent une danse ayant une fonction sociale, débarrassée de tout concept, et réinventent un langage en puisant dans le mouvement naturel du corps ou le mouvement du quotidien. Leur communauté décloisonne les arts et refuse tous les codes de la représentation, y compris le théâtre lui-même pour s’emparer de la rue et de lieux insolites.
Rapprocher l’art de la vie
Expérimenter, improviser, chercher, rapprocher l’art de la vie, tel est leur crédo, laissant une grande place à la performance. C’est dans ce contexte que Trisha Brown développe les equipement pieces, des performances réalisées sur des lieux aux sols instables ou sur les parois verticales des buildings, contraignant les danseurs à s’équiper de harnais ou de cordes. Peut-être est-ce justement entre ciel et terre qu’est née cette incroyable sensation de légèreté et d’envol de mouvements que l’on perçoit dans tous ses spectacles. Par la suite, elle développe ce qui sera le fondement de son travail : les “accumulations” de mouvements. Son principe est d’ajouter sans cesse un mouvement à celui qui le précède, il lui permet ainsi d’inventer un nombre infini de compositions et de rester dans un état de recherche permanent.
Danse répétitive, danse contact, improvisation, travail sur l’apesanteur, sur des notions telles qu’entrer/sortir, visible/invisible, sur le déséquilibre, les changements d’appuis et la fluidité, les créations de Trisha Brown évoluent dans une écriture où la liberté d’être s’impose d’une manière tellement évidente qu’elle efface comme par magie une réelle complexité sous-tendue.
6 pièces qui montrent l’évolution de la chorégraphe
Les six pièces présentées dans ce festival couvrent une large période – de 1978 à 2011 –, avec l’objectif de montrer l’évolution de son travail. On retrouve Set and Reset, créée en 1983 sur une musique de Laurie Anderson, avec une scénographie et des costumes de Rauschenberg, qui imposa cette gestuelle fluide traçant les mouvements dans un flux continu. En venant à Lyon, la chorégraphe cède au répertoire du ballet For M.G. : the Movie (1991), une de ses pièces les plus importantes, au sujet de laquelle Diane Madden, directrice des répétitions, dit : “Trisha Brown joue avec le temps et la vitesse, elle utilise des procédés filmiques : le ralenti ou le mouvement à l’envers. Elle cherche à déconcentrer le spectateur, à créer une perturbation d’un côté de la scène au moment où quelqu’un entre de l’autre côté. En fait, elle joue avec les limites du cadre, l’espace de la scène.”
Âgée de 76 ans, la chorégraphe n’a rien perdu de sa superbe, et ce programme nous permet de découvrir une merveille datant de 2011 : I’m going to toss my arms; if you catch them, they’re yours, dansée par sa compagnie. Avec la présence sur scène du pianiste Alvin Curran, elle dessine une chorégraphie où les corps semblent portés par des souffles invisibles qui s’immiscent dans les courbes des bras et des dos, creusant les plexus pour mener la danse – tout en douceur – vers des spirales hypnotisantes.
Trisha Brown Festival. Du 9 au 17 février, à l’Opéra de Lyon.