Un Cyrano de folie aux Célestins

Transcendée par l’extraordinaire interprétation du rôle-titre, la mise en scène de Dominique Pitoiset éclaire Cyrano de Bergerac d’un jour nouveau, sans rien écorner de son génie.

On a beau être prévenu, les premiers instants de la mise en scène signée par Dominique Pitoiset de Cyrano de Bergerac créent une sacrée surprise. On retrouve en effet les cadets de Gascogne dans une salle d’hôpital psychiatrique… Fauteuils en Skaï, appareils médicaux et juke-box (qui diffuse des chansons des Beatles) en guise de décor. Les fringants cadets, dotés d’invraisemblables trognes, ne sont plus tout jeunes, habillés de pyjamas, de survêtements défraîchis ou de nippes indéfinissables… Quant à leur chef, il ne vaut, en apparence, guère mieux. Le crâne rasé, il est doté d’un marcel qui ne restera pas longtemps immaculé et d’un bas de survêt informe. L’ambiance est celle du film de Milos Forman Vol au-dessus d’un nid de coucou. Mais, dès que fusent les premières répliques, on s’aperçoit que le panache ne tient pas à une tenue de mousquetaire. Que ce Cyrano-là, empoigné avec une vigueur et une gouaille peu communes, aussi bien qu’une finesse malicieuse, par Philippe Torreton est impressionnant de vérité, comme de puissance dramatique.

Tchat amoureux

Et si, en guise de rapière, c’est un fer à repasser qu’il saisit pour se débarrasser du fâcheux qui le défie cran d’arrêt en main, il est tout aussi redoutable que les plus fameux interprètes du rôle depuis la création de la pièce en 1897. C’est d’ailleurs sans doute ce qu’a voulu prouver Dominique Pitoiset par cette transposition improbable : après tout, le panache n’a pas de terrain de jeu ni d’époque définis. Il est là, dans cette salle peuplée de fous, aussi bien que dans une lecture traditionnelle parmi les mousquetaires du roi et sur les champs de bataille dévastés.

Et l’on s’amuse, et l’on est touché au plus profond par les implacables alexandrins de Rostand, sa façon sans pareille de rimer dans la bagarre comme dans les scènes amoureuses. Au point que les presque trois heures de spectacle passent comme un souffle. Ainsi, la scène du balcon peut bien être transformée en une séquence de tchat amoureux par webcaméra interposée, elle ne perd rien de son comique ni de son impact émotionnel. Et lorsque Cyrano, dans le dernier acte, dévoile enfin comment il a prêté son esprit à un jeune bellâtre qui n’en avait pas, c’est tout le théâtre des Célestins qui est saisi à la gorge, bouleversé par ce destin d’un looser magnifique, si représentatif d’un certain esprit français, d’un code d’honneur et d’un panache qui n’apparaissent en rien démodés. Reste alors à se lever pour saluer cette troupe valeureuse qui a su donner à ce chef-d’œuvre une nouvelle vigueur. Ce qui fut fait, durant de longues minutes.

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Cyrano de Bergerac. Jusqu’au 1er juin, aux Célestins.

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