Lorsque Philippe Vincent s’attaque au mythique Woyzeck de Georg Büchner, il opte pour un diptyque très personnel qui relie par la vidéo la grande scène du théâtre de la Croix-Rousse, où se joue Woyzeck, à la petite salle où a lieu le Cabinet du docteur narcotique.
Cette fois-ci, Philippe Vincent, toujours extrêmement inventif dans ses mises en scène, est allé très loin dans la complexité du concept scénographique. L’idée du metteur en scène est d’analyser les changements de comportement de Woyzeck devant la caméra. Le personnage devient un sujet d’étude, une sorte de « cas » dont les faits et gestes sont épiés en permanence même lorsqu’il quitte la scène pour aller acheter un couteau dans la salle d’à côté. Le spectateur de la grande salle voit tout, y compris des scènes du Cabinet du docteur narcotique qui sont projetées de temps à autre et qui contribuent à l’impression d’être dans un univers étrange. Tout se passe sur une scène dépouillée d’élément concret de la vie quotidienne, l’espace s’apparente à un squat de l’Allemagne de l’Est où le temps semble s’être arrêté. La musique de Bob Lipman jouée en direct et s’inspirant des Musiques Mécaniques de Carla Bley accentuent ce caractère intemporel par son minimalisme.
Une manipulation cauchemardesque
Cette création déstabilise le spectateur qui se retrouve manipulé par la scène et la vidéo, son regard et son attention sont sans cesse sollicités lui donnant l’impression de courir après un fil qui peut-être n’existe pas. La folie et le cauchemar sont omniprésents, Woyzeck est-il en plein délire paranoïaque ? D’où proviennent ces voix ? Qui sont ces personnages aux mines angoissantes ? Le meurtre de Marie hors-champ, doit-on y croire ? Tout est remis en question sans cesse, même la dramaturgie. L’ensemble parfois abstrait est truffé de références cinématographiques, notamment à David Lynch. C’est d’ailleurs cette cohérence esthétique qui donne les clefs de compréhension de l’œuvre et surtout autorise le public à se laisser porter dans ce rêve obscur. Philippe Vincent nous conduit dans un univers unique, glauque à souhait, bouillonnant de créativité, où certes tout n’est pas parfait mais où le spectateur est malmené dans sa passivité habituelle et dont le confort est mis à mal, ce qui malheureusement est rare au théâtre et pourtant si réjouissant…
Woyzeck et le Cabinet du Docteur Narcotique. Du 5 au 14 novembre, au Théâtre de la Croix-Rousse, Lyon 4è. 04 72 07 49 49. www.croix-rousse.com
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