Ce jeudi se déroulait le concert symphonique d’IAM aux Nuits de Fourvière. Le groupe était accompagné par le Conservatoire à rayonnement régional (CRR). Philippe Egasse, régisseur général du CRR de Lyon, revient sur la collaboration avec le groupe.
Lyon Capitale : Comment s’est passée la collaboration avec le groupe ?
Philippe Egasse : Les Nuits de Fourvière nous proposent chaque année des collaborations avec des artistes qui jouent pendant le festival. Avec IAM, nous avons travaillé deux jours complets au conservatoire, à savoir deux fois 6 heures. Ensuite, on s’est retrouvé, le jour du concert pour 3 heures de raccord sur le plateau. On est vraiment dans les conditions professionnelles qu’on essaye d’inculquer à nos étudiants toute l’année. On leur explique que, dans la vraie vie, quand ils seront sortis du conservatoire, ils auront très peu de temps pour travailler leurs partitions et pour répéter. Les partitions ont, tout de même, été envoyées aux étudiants au préalable, maintenant de là à savoir s’ils les ont travaillées à l’avance, je ne sais pas. Il faut savoir que dans ce genre de musique ce n’est pas techniquement très difficile, mais le plus dur c’est de mettre tout en place avec les DJs et avec la musique électronique, sur laquelle ils ont très peu l’habitude de travailler.
Qui sont les élèves qui ont joué hier ?
Les élèves que nous avons choisis pour cette représentation sont des élèves essentiellement en voie de professionnalisation. C’est-à-dire qu’ils sont en troisième cycle spécialisé et cycle perfectionnement. Ils ont une moyenne d’âge d’environ 20 ans.
Comment s’est passée la relation entre le groupe et les élèves ?
Je ne vais pas trahir un secret, mais je pense que les deux camps étaient aussi anxieux de se rencontrer. Et en une heure, même pas, une grande connivence s’est établie. Le groupe IAM est composé de vrais musiciens et ils avaient en face deux d’autres vrais musiciens aussi, donc le langage de la musique est passé tout de suite. Il y a eu un vrai travail de professionnel entre eux. C’est un groupe très accessible, très pédagogue, très sympathique. Donc les élèves ont été très vite détendus. Je dois dire qu’il y a même eu une complicité rapidement. Je les ai vus à chaque pause parler avec IAM comme s’ils les avaient fréquentés depuis toujours.
Pourquoi avoir accepté de mélanger l’univers du rap à celui de la musique classique ?
On a trois projets différents avec les Nuits de Fourvière cette année. Le premier avec IAM, dans quinze jours on joue avec Dick Annegarn, qui est plutôt un chanteur à texte, et quinze jours après, on jour avec Benjamin Biolay. Tout ça sur des formations musicales et des styles musicaux différents. Le recrutement des étudiants s’est fait sur la base du volontariat donc il y a déjà une volonté très intéressée des étudiants de jouer avec ce genre de musique. La plupart de nos étudiants sont dans un cursus classique. Au conservatoire, on apprend aussi les musiques actuelles, certes pas le hip-hop et le rap, mais le jazz et la musique assistée par ordinateur. Cette collaboration permet d’ouvrir les esthétiques musicales à nos étudiants et de les immerger dans un bain réel qui leur permet de jouer comme des professionnels.
C’est quelque chose qui les motive, de croiser les univers musicaux ?
On s’aperçoit en réalité que les étudiants de musique dite classique, qu’on a tendance à penser un petit peu élitiste, sont des étudiants comme les autres. Ils écoutent de la musique, ils vont en boîte de nuit, ils vivent et aime aussi le rap. Je pense que c’est une musique qu’ils connaissent bien. Les étudiants qui ont participé au concert sont des élèves qui ont un cursus classique. Mais, encore une fois, ce n’est pas parce qu’ils étudient la musique classique qu’ils sont fermés. Ils ont beaucoup d’ouverture sur la vie et j’ai été surpris de voir à quel point l’engouement était présent chez nos étudiants. Il y avait même des élèves de 13 ans qui étaient scotchés et qui demandaient des autographes. Ils les connaissaient, ils connaissent l’histoire du groupe ainsi que tous les membres ; alors qu’IAM n’est pas un groupe d’adolescent. C’est prodigieux puisque le groupe en est à plus de 30 ans de carrière et ils restent des idoles pour les plus jeunes.
En France on voit apparaître depuis quelques années, de plus en plus de représentations qui mêlent la musique urbaine à la musique classique. Comment percevez-vous cette évolution de la musique ?
Je n’en pense que du bien. En réalité, on apprend à nos étudiants que leur métier futur va s’inventer avec le temps. On leur donne des bases techniques, mais il faut qu’on leur donne aussi une ouverture totale d’esprit sur ce que pourrait être leur métier à venir. Cela s’illustre par des enregistrements de musiques de film, des artistes de variété, des rappeurs, de l’Opéra… La musique c’est un tout et il n’y a pas de frontière.
L’avenir de la musique c’est de mêler les genres musicaux ?
Je pense qu’en réalité, à partir du moment où l’on parle musique, il n’y a pas de frontière. Deux musiciens, même très différents, qui se rencontrent parlent le même langage. Ces étudiants ne forment pas une élite. Ils ont un très bon niveau certes, mais ils doivent être ouverts à tous les styles parce que cela reste de la musique.
Ces représentations qui mélangent le rap, qui a existé parce que des personnes ne se sentaient pas représentées dans la musique à l’époque, et la musique classique, considérée comme élitiste, peuvent rapprocher les publics différents et les classes sociales ?
C’est très ambitieux comme idée… je pense que le musicien est, par nature, quelqu’un qui est à l’écoute des autres. Donc, en effet, il essaye toujours d’aller vers les autres et de se faire entendre du plus grand nombre. Maintenant, est-ce que nous avons le pouvoir réel de rapprocher les classes sociales ? Je ne pense pas que nous devons imaginer que l’on détient ce pouvoir, en revanche, on peut y participer. Ce qui est certain, c’est que l’éducation de la musique forme une certaine discipline consentie par la personne. C’est-à-dire que les écoles de musique n’ont pas de problème d’incivilité parce qu’il y a une sorte d’autorégulation du musicien, puisqu’il doit s’écouter et faire attention au cadre dans lequel il vit. La musique aide dans ce sens-là, mais il faut qu’elle soit apprise de manière réelle. On apprend à s’écouter, se contrôler, à se respecter.
Le fait que le conservatoire participe à ce type d’événement permet-il d’élargir sa visibilité à un nouveau public ?
C’est plus un problème de fond. Je ne pense pas qu’un seul concert ou une série de collaboration fasse une différence. Cela dépend des élus à ce moment-là. Le conservatoire a beaucoup de demandes sur des choses classiques en réalité. Est-ce que c’est notre image ? Je n’en sais rien, mais ce qui est sûr c’est que beaucoup de familles viennent chercher chez nous l’enseignement de la musique classique avec sa rigueur et sa tradition. Peut-être bien parce que ça élève socialement. C’est possible. On ne joue pas un concerto de Mozart, il a fallu apprendre une autre technique musicale. Par exemple, dans le classique on apprend à être très strict avec la mesure. Là, il faut être rigoureux, mais simplement savoir moduler un tout petit peu sa mesure pour pouvoir donner de la vie à ce genre de musique. C’est ce qu’on appelle le groove.
Vous écoutez du rap ?
Personnellement, c’était une réelle découverte, je connaissais IAM de nom, mais ce n’était pas du tout ma culture. Et justement j’ai découvert beaucoup de choses. Ils m’ont impressionné par leur capacité de mémorisation des textes. Je ne les ai jamais vus sortir un cahier, ils font tout par cœur. Et quand ils chantent à trois ou quatre, ils sont en synchronisation totale. Et ça pour un musicien, c’est très difficile à faire.
Le rap est un style musical qui travaille principalement avec des beat makers plutôt qu’avec de vrais instruments.
C’est une expérience que vous souhaitez renouveler ?
Finalement, c’est quand même très intéressant. Refaire des collaborations comme ça, et ça serait vraiment un grand bonheur ! [rire]