Le fort du Bruissin rassemble des œuvres issues des collections d’art contemporain des artothèques de la région, sur le thème du végétal. Majoritairement bidimensionnelles, elles nous parlent des rapports entre l’homme et la nature.
Entre le végétal et l’art, c’est une grande histoire d’amour. Déjà l’homme préhistorique usait des végétaux pour créer les pigments et le liant de ses peintures pariétales. Si les formes, les couleurs, les textures des végétaux ont servi de décor ou de sujet à part entière à travers toute l’histoire de l’art, ils trouvent leur pleine utilisation avec les artistes du Land Art, qui en font leur sujet, leur matériau de prédilection et le cadre de leurs actions. Il est donc logique de les voir en bonne place dans cette exposition, tel Andy Goldsworthy, chantre de l’art éphémère. Par ses œuvres in situ (à base de pierres, de feuilles, de branches), l’artiste cherche à créer une forme d’harmonie brève entre la nature et lui. La minimontagne zébrée de Five Tree Drawings relève de cet instant fugace, dont la seule trace reste la photographie présentée ici.
“C’est la nature en tant que telle qui m’intéresse. Toute intervention humaine signifie destruction”, disait Nils Udo. Une posture partagée par d’autres artistes dont les œuvres reposent sur une inscription sans heurt du corps dans le paysage, une façon de prendre le pli de la nature, comme dans les célèbres autoportraits contorsionnistes en noir et blanc d’Arno Rafael Minkkinen. Point de roulement en boule ou d’étirement dans Asikkala, mais l’image simple d’un corps dissimulé derrière un arbre les bras tendus à la perpendiculaire, rapprochement entre la nature et la religion, cher aux panthéistes romantiques.
Cette adaptation aux formes de la nature est aussi à l’œuvre chez Daniel Donadel, rejouant le mythe de la cabane dans les arbres, version funambule. Dans une certaine mesure, cette prise de pli du corps humain se rapproche encore des analogies formelles entre l’homme et la nature que révèlent des artistes comme Peter Hutchinson, qui compare sa main aux cinq “doigts” d’une étoile de mer. Bref, l’artiste est un végétal comme les autres.
Lieu de toutes les projections
Si la nature est le terrain de jeu de certains artistes, elle est aussi le lieu de toutes les projections possibles, et l’art a très tôt exploité son potentiel onirique. Elle est un décor tant réel qu’imaginaire dans le travail photographique de Nils Udo, comme dans Coquelicot qui met en scène un étrange enfant, créature aux larges taches rouges assis sur un tapis de fougères enfoui au milieu des branches. Elle est aussi un réceptacle des sentiments les plus variés. Devant la photographie diaphane d’un arbre déraciné, cet autre imposant planté devant une maison ou celui resté hors champ dont les ombres sont projetées au sol, chacun fera sa petite histoire, éprouvera selon ses états d’âme. Pourvoyeur de motifs, le végétal montre également son potentiel d’abstraction, que les artistes révèlent : par un cadrage spécifique comme dans les magnifiques tirages bleus de Mathilde Darel, visions presque tarkovskiennes de la nature ; par l’isolement d’une branche, réduite à une simple ligne chez François Morellet ; ou par des formes sculpturales abstraites se déployant en corolle, Les Graines de Sylvie Maurice. Figuratives ou abstraites, les œuvres rassemblées ici sont le résultat de connexions entre la nature et celui qui la regarde, la reproduit ou y agit.
“Du végétal dans l’art” est une exposition peu bavarde (l’accrochage n’opère aucun regroupement précis mais invite plutôt aux associations libres entre les œuvres) et peut-être un peu trop solennelle avec ses cimaises en dégradé de gris anthracite, mais elle offre sans doute les conditions propices à une certaine forme de méditation, sur le rapport de l’artiste – et par extension de l’homme – et de la nature, sur la place qu’on lui accorde aujourd’hui. Une réflexion qui résonne d’autant plus dans un fort du Bruissin dont l’architecture est l’exemple même de l’inscription séculaire de l’un dans l’autre.
Du végétal dans l’art. Jusqu’au 11 novembre, au fort du Bruissin, centre d’art contemporain de Francheville (69).