Deux ans après Entity, présenté en 2008 à la Biennale de la Danse, le chorégraphe anglais Wayne McGregor revient à Lyon avec Far, une pièce intense, hypnotisante et profondément humaine. A ne pas rater !
Il est des spectacles rares. De ceux qui tout d’un coup vous font découvrir ou redécouvrir ce que sont la danse, le sens du mouvement, l’importance du danseur avec ce qu’il est capable d’aller chercher en lui pour être incarné. Il est des écritures chorégraphiques incroyables. De celles qui nous parlent d’une manière à la fois intuitive et structurée, sans volonté de séduction et avec une virtuosité qui n’a pas peur de se mesurer aux faiblesses du corps humain. Oui, Far de Wayne McGregor est le choc artistique de cette saison chorégraphique lyonnaise. La danse est faite d’une physicalité extrême qui semble parfois mettre les corps en danger. Les interprètes portent, du début jusqu’à la fin, une énergie individuelle et collective qui nous plonge dans une écriture hypnotique et haletante. La danse est bouleversante parce qu’elle requiert chez le danseur la même force mentale que physique. On le sait, l’obsession du chorégraphe est de comprendre les interactions entre le corps et l’esprit, car en danse il ne peut y avoir de séparation entre les deux. Ainsi, émotion, sensation, mémoire, mouvement et langage constituent cette même matière qui lui permet de créer une danse viscéralement engagée.
Aimer la danse à nouveau
Si le point de départ de cette pièce est le livre de l’historien anglais Roy Porter, La chair à l’âge de raison, montrant la transformation opérée par le siècle des lumières sur notre vision du corps et de l’esprit, on est de suite immergé dans un univers ultra contemporain, soutenu par la musique électronique et prenante de Ben Frost. Ses sons nous basculent par vagues dans des atmosphères de lieux très urbains, façonnant ainsi une architecture spatiale à l’intérieur de laquelle les corps s’éprouvent. Chez McGregor, contrairement aux apparences, la perfection n’existe pas. La seule beauté du geste non plus. Alors, on est fasciné par la manière dont il tord cette danse que certains pourraient appeler néo-classique, pour la transformer en une danse qui appartient aux danseurs eux-mêmes et non plus à des codes esthétiques. Ainsi réappropriée, elle insuffle un flot incessant de mouvements comme autant de fils cassés, lissés, tordus, enchevêtrés, fluides, renvoyant à notre propre vécu. Il en va d’une main qui brise la ligne ajustée d’un bras, de torsions de reins qui scindent la perfection d’une courbe, d’un dos qui refuse une trajectoire prédestinée. Il en va de ces solitudes qui envahissent l’espace comme de ces corps qui se lovent en couple ou se rejoignent hagards ou complices pour former un groupe et avancer. Dans Far, la danse est parfois immense, parfois rapprochée, à chacun de faire avec. Wayne McGregor nous démontre que comme la vie, elle ne se maîtrise pas toujours et que nous sommes sous influence. Mais il y a dans cette absence de perfection, une liberté retrouvée, l’invention d’une écriture surprenante et pour nous spectateurs, la joie d’aimer à nouveau la danse.
Far de Wayne McGregor, à la Maison de la danse, jusqu’au 25 février.