Ex-complice des Deschiens, artiste touche-à-tout maniant l’art du burlesque avec un réel engagement du corps, Patrice Thibaud propose cette semaine à la Maison de la danse une nouvelle version de “Welcome”, son succès de la dernière Biennale de la danse. Entretien.
Depuis 2008, Patrice Thibaud met en scène ses propres spectacles selon ses envies, en recherche d’aventures et de rencontres. On l’a découvert en 2014 lors de la Biennale de la danse avec Cocorico, une comédie burlesque alliant pantomime et musique, puis il est revenu avec Franito pour rendre un hommage plein d’humour et de délire au flamenco. Welcome parle de la mort, ou plutôt de ce tunnel blanc entre la vie et la mort. La pièce a été revue, est devenue plus fluide, plus rythmée et encore plus déjantée. Patrice Thibaud est un burlesque à part car il est passionné par la danse, le corps et ses transformations, ses énergies et tout ce qu’il révèle de l’identité des êtres. Il aime les artistes, ceux qui ne sont pas comme lui. Dans cette pièce, il réunit et joue avec des comédiens, des danseurs/chanteurs, un musicien. Tous sont accompagnés par les chorégraphes Fran Espinosa et Joëlle Iffrid.
ENTRETIEN
Lyon Capitale : Vous pratiquez l’art du burlesque avec un travail sur le corps et le mouvement assez unique. D’où vient cette approche artistique ?
Patrice Thibaud : En fait, tout cela vient de loin, de l’enfance. Lorsque mes parents ont divorcé, ma mère m’a gardé et j’ai très vite cherché le père. Je l’ai trouvé du côté de mes deux grands-pères, qui étaient très rigolos et qui peu à peu ont fait mon éducation. L’un était fan des burlesques américains comme Keaton, Chaplin, Laurel et Hardy, et l’autre de Fernand Reynaud et Louis de Funès. Tous ces acteurs jouaient avec leur corps. Après le divorce, j’ai moins parlé en famille et je n’étais pas très bavard avec les copains. Cela m’a amené à développer le physique plutôt que la parole ; je faisais rire en imitant tous ces artistes, ce qui me donnait aussi le sentiment d’être aimé quand on me regardait. De ma grand-mère, j’ai hérité un corps souple et hyperlaxe et cela a facilité les choses. J’aimais danser dans les boums à l’âge de 18 ans, puis j’ai rencontré une danseuse de flamenco avec qui j’ai vécu. En fait, j’ai tout le temps adoré la danse, mais sans jamais vraiment prendre de cours.
Travailler avec le corps, est-ce aussi une façon de vous libérer, de transgresser ?
Dans Fair-Play, je joue avec mon corps, mon gras, mes seins, mon ventre, je le prends, j’essaye de le jeter, en le prenant je remue la graisse, c’est drôle et le public a réagi en se disant : Mais comment il ose faire cela ? C’est une sorte de libération, oui. J’ai toujours été rond ; quand j’étais petit, je voyais mon ventre, j’arrivais à le sortir et maman me disait : “Pourquoi tu ne ferais pas un spectacle avec ça ?” Il y a un autre spectacle où je joue avec mon menton. Je me suis aperçu que ça touche beaucoup les femmes. Sur Fair-Play, elles trouvaient que c’était fou mais en même temps elles y percevaient une tendresse infinie. Certaines me disaient que cela leur faisait du bien de voir ça car leur mari rentre toujours le ventre. Je vois souvent des femmes très rondes, en général françaises, qui font tout pour se cacher. Les Africaines, qui sont deux fois plus rondes, mettent des trucs moulants, avec les seins en avant, les fesses en arrière, elles sont plus jolies dans le fait de s’assumer et de sourire, c’est une porte ouverte au contact.
Vous situez Welcome dans le sas de la mort imminente…
Oui, dans ce qu’on appelle le tunnel blanc – on y croit ou on n’y croit pas. J’ai lu des livres à ce sujet, j’ai rencontré des personnes qui ont vécu des expériences de mort imminente et qui au moment d’une crise cardiaque se disaient qu’elles avaient le choix de partir ou de se battre pour revenir alors qu’elles se sentaient bien, sans douleur, au chaud. L’idée de cette pièce, c’est de se demander où on est, qu’est-ce qu’on fait de la vie, où on va. Au départ, il y a aussi ce drame personnel que j’ai vécu avec la mort de mon filleul. Six mois après qu’on a fêté ses quarante ans, il est parti d’un cancer foudroyant. C’était tellement injuste, je ne comprenais pas pourquoi il était parti, je faisais des cauchemars, je ne dormais plus, et quand il a été question de faire un nouveau spectacle j’ai choisi de traiter ce thème et le fait d’en rire m’a fait du bien.
Quelle aventure va-t-on vivre avec Welcome ?
L’aventure de la mort (rires). En gros, le message – même si je n’aime pas cette expression – c’est qu’il faut profiter de la vie, en tout cas prendre conscience qu’on a de la chance d’être encore là. Des personnes sont parties avant nous qui n’ont pas eu cette chance-là. Comprendre que pour nous chaque seconde est gagnée et qu’il faut essayer de faire le bien autour de soi. Et moi, j’essaye de faire du bien en faisant rire.