Installé en France depuis près de vingt ans, l’Australien d’origine grecque à la voix profonde Jim Yamouridis a développé une œuvre oscillant entre folk, blues et rebetiko qui n’est pas sans évoquer la période grecque ombrageuse de Leonard Cohen.
Lorsqu’il commença d’investir l’île d’Hydra en 1960, où il écrivit et composa quelques morceaux de son œuvre (qu’il s’agisse de poésie, de romans ou de musique), sans doute Leonard Cohen se rêvait-il en pâtre grec, en dieu Pan, tête couronnée et pieds sabotés courant les chemins rocailleux une lyre dans une main et une muse dans l’autre (Marianne Ihlen, celle de So long, Marianne). En réalité, il est probable que le Canadien y développait surtout, outre son art, l’envie qu’on lui fichât une paix royale. Reste que, de ce Leonard-là, l’héritier légitime serait forcément grec et s’incarnerait en la personne du bel Hellène à la voix de stentor cohénienne baptisé Jim Yamouridis. Sauf que l’intéressé appartient en réalité à l’importante diaspora grecque disséminée sur l’île-continent australienne, une tout autre manière d’Hydra. Là, cet architecte de formation a frayé avec la fine fleur de la scène locale, à commencer par les Bad Seeds, particulièrement Conway Savage et Warren Ellis. Là, il a aussi connu son petit succès le temps de deux albums (produits par Savage) avec un groupe semi-culte au destin météorique, The Stream – illustrement repris par PJ Harvey –, dans les années 1990.
Erratisme et hiératisme
De là, il s’est ensuite envolé, définitivement, pour la France et le fin fond de l’Auvergne, du moins l’un de ses fins fonds, la Haute-Loire où il a commencé à élaborer une œuvre solo folk-blues oscillant entre erratisme et hiératisme, à la fois sacrée et dépouillée, parfois enluminée de belles collaborations. Comme celle développée avec Seb Martel sur les albums Into the day et The True Blue Skies dont la pochette à l’à-plat dessiné rappelle subliminalement (par son trait et son surgissement de bleu) The Future de Leonard Cohen, toujours. Et si Yamouridis évoque parfois un Tom Waits sobre, un Dick Annegarn à la fois méditerranéen et anglophone, un Johnny Cash bluesé ou un Nick Cave liturgique, c’est bien du côté du poète canadien qu’il convient d’aller chercher au Bougnat grec des antipodes une parentèle tout à la fois évidente et paradoxale. Sur le récent The Other Side, Yamouridis semble même évoluer à rebours de Cohen et rejoindre le Ladies’ man des premières années. Là où Cohen, chanteur tendance ébéniste à ses débuts déjà déchus, sortit du dénuement pour s’ouvrir peu à peu aux orchestrations et même aux synthétiseurs, Yamouridis semble lui s’y reclure à mesure qu’il avance en âge.
Truands et haschischins
C’est ainsi qu’il laisse à sa seule voix, de plus en plus caverneuse, de plus en plus sépulcrale (il faudrait trouver mille adjectifs du même acabit pour décrire cet organe décavé à la résonance antique), le soin d’harmoniser avec une guitare à laquelle l’adjectif “sèche” ne suffit pas à rendre grâce, pour vaporiser l’atmosphère interlope des anciennes comptines mal famées et enfumées de la tradition grecque rebetiko, ses histoires de truands et d’haschischins, fondue dans celle des pionniers des Appalaches et balayée des vents glacés de l’Auvergne sauvage. Tout cela, donc, par une sorte d’étrange infusion, évoque le Cohen des débuts, ce berger-dieu romantique à fleur de peau, de rocaille et de lose magnifique qui semblait chanter ses testaments avec un peu trop d’avance. Ce n’est sans doute pas par hasard si Jim Yamouridis arbore depuis un long moment le surnom de “Leonard Cohen du Massif central”. Un titre partagé avec un autre Auvergnat, Jean-Louis Murat, qui écrivit en 1999 sur son western Mustango une chanson baptisée… Jim, qui ânonnait en ouverture abstraite un “Jim murmurant / à cheval / émouvant / dans la nuit de son âme / ivre comme une tige que le monde étonne / Puis pris de vertige sous la grande étoile / où il vit”. Comme l’involontaire portrait d’un confrère compatriote déambulant dans la lande de l’âme égarée des poètes errants. À commencer par Leonard C.