Après-coup // Dominique Hervieu a déjà offert aux Lyonnais deux pièces bouleversantes lors de cette biennale : “Passants” de Yoann Bourgeois, place Bellecour, en fin de défilé, et “31 rue Vandenbranden” de la compagnie belge Peeping Tom, interprétée par le ballet de l’Opéra de Lyon.
Les regards de l’humanité
C’était dimanche 16 septembre, après un défilé aux couleurs de la paix. Rendez-vous était donné autour de l’escalier hélicoïdal de Yoann Bourgeois pour Passants, une variation de Fugue/Trampoline – Variation n° 4, une chorégraphie réalisée avec des acrobates et des amateurs rencontrés dans le cadre d’une résidence en Isère. De tous âges, de tous milieux sociaux, ils sont ces gens que l’on croise dans la rue ou ailleurs, que l’on ne connaît pas. Ils forment une humanité que Yoann Bourgeois nous demande de regarder, simplement, dans l’énergie d’un frôlement fugace et pourtant réel. Tandis que l’escalier tourne à l’infini, des individus marchent, disparaissent, rendus multiples par les changements de costumes. Selon l’angle de vision, on voit des groupes avancer, un être isolé, assis ou debout, un acrobate qui disparaît et réapparaît dans les airs pour s’enfuir de nouveau. Nous sommes vivants et mortels en même temps. Nous appartenons à cette humanité qui se vit devant nous, à nous d’en faire quelque chose et d’en saisir l’émotion. Yoann Bourgeois nous fait comprendre que nous sommes capables de créer sans être artistes. Tout est simple et pourtant tout est dit. Nous sommes en larmes…
La force du ballet
Les danseurs du ballet de l’Opéra de Lyon savent travailler avec des chorégraphes très différents et n’ont pas peur de s’aventurer en terre inconnue. Mais, en proposant l’entrée au répertoire d’une pièce de Peeping Tom, Dominique Hervieu et Yorgos Loukos prenaient un risque, les menant vers un travail plus théâtral, une danse qui brûle les corps, dont la virtuosité seule n’aurait pas suffi pour relever le défi tant elle fait appel à l’âme et au vécu des personnages. La pièce originelle (32 rue Vandenbranden), jamais programmée à Lyon, est un pur chef-d’œuvre, adaptée au ballet par les deux chorégraphes Gabriela Carrizo et Franck Chartier. Tout se passe en montagne, à 3 000 mètres d’altitude, dans le froid, au milieu d’un endroit perdu où sont posées deux caravanes délabrées dans lesquelles six habitants vivent en vase clos, qui voient arriver deux étrangers. Si l’on perçoit, entre autres, la thématique des migrants, ce qui frappe avant tout c’est la manière dont l’esthétique réaliste, cinématographique mais aussi fantasmée des chorégraphes révèle des individus en proie à une effroyable solitude. Par moments, les corps sont tels des images statiques derrière des fenêtres ; à d’autres, ils se débattent contre eux-mêmes ou semblent se noyer, confrontés à l’existence de l’autre, au groupe ou au couple.
Acceptant le border line, les danseurs du ballet de l’Opéra se sont éperdument engouffrés dans la gestuelle – parfois contorsionnée et périlleuse – des chorégraphes, au service de personnages portant des histoires ratées, rêvées, subies ou qui peut-être sortiront de leur enfermement. Stupéfiants de présence et d’incarnation, guidés par le regard et l’écriture de deux artistes hors du commun, les danseurs du ballet semblent à présent dotés d’une maturité et d’une force qui, espérons-le, les porteront à faire découvrir cette pièce magistrale, en tournée, à travers le monde, et encore à Lyon !