Retour événement sur disque et sur scène du plus grand groupe suisse de tous les temps : les Young Gods, une des formations les plus novatrices et influentes d’Europe ces trente dernières années. Ils arrivent à Lyon avec un Tangram qui n’aurait pas déparé au Mirage Festival.
En trente ans, et même un peu plus, de carrière, les Young Gods de Franz Treichler et Cesare Pizzi (revenu aux affaires en 2013 après une longue éclipse loin du groupe), trio complété par Bernard Trontin, ont sans doute vu leur jeunesse s’envoler, mais il y a une chose qu’on ne pourra leur enlever, c’est cette aura confinant au divin. Lorsqu’on parle des Young Gods à un amateur de musiques actuelles (on ne dira pas “rock”, tant le terme est aussi réducteur que toute autre tentative de les qualifier), il sait que l’on ne fait pas seulement référence au plus grand groupe suisse de tous les temps – ce qui, dans le paysage musical mondial, n’a peut-être guère de valeur, la Suisse ne siégeant pas au Conseil de sécurité des musiques de jeunes comme les historiques que sont la Grande-Bretagne et les États-Unis ; ce qui est peut-être un tort, pour peu que l’on se penche davantage sur son cas…, il sait donc, l’amateur de musiques actuelles, que les Young Gods sont aussi et surtout l’un des groupes les plus influents de leur temps, l’un des plus radicaux sans doute, ceci expliquant d’ailleurs cela. Car, depuis la décennie 1980, le trio formé à Genève, qui connut quelques bouleversements d’effectif au cours de son histoire, n’a jamais lâché la rampe de l’expérimentation musicale et de l’innovation sonore, s’inscrivant dès ses débuts comme un pionnier du sampling, secouant les genres au gré de son évolution aux portes du metal, de la musique industrielle, du cabaret berlinois, de l’électronique bien sûr, d’un psychédélisme tout droit hérité d’un des totems du groupe (les Doors) et d’une sorte de blues froid portant le charme gris de l’Europe.
Planche de la ruse
Au cours de leur carrière, les Gods ont joué avec des orchestres symphoniques, repris Kurt Weill, tordu nombre de titres de groupes admirés (de Gary Glitter à Suicide), multiplié les atmosphères et les textures, composé un disque pour l’Exposition universelle de 2002 et même mis en musique des conférences sur le chamanisme, construit nombre de disques contre les précédents à coups d’impressionnantes volte-face esthétiques (Knock on wood en 2008, embardée acoustique faisant suite à une période résolument électronique). Et fait énormément de petits : les albums “berlinois” de U2 et leurs atmosphères Mittel Europa doivent ainsi énormément à l’influence du trio suisse, qui marqua aussi beaucoup des artistes comme Mike Patton, David Bowie ou Trent Reznor de Nine Inch Nails, dont les Young Gods sont d’évidents aïeux.
2019 est l’année du retour pour les Suisses, qui n’avaient pas publié d’albums studio depuis neuf ans. Au programme, une œuvre conceptuelle, Data Mirage Tangram, qui n’est pas sans rappeler les expérimentations sonores de Scott Walker et tente de transposer en musique, comme son nom l’indique, la figure du tangram, ce puzzle japonais de sept pièces aussi appelé “planche de la ruse”. Un disque qui, en sept titres donc, restitue quasiment – en réalité, c’est un peu plus compliqué que cela –, entre manipulations numériques, rythmiques tribales et atmosphères vaporeuses sujettes aux déflagrations, ce que sont les Young Gods depuis trente ans : un groupe qui ne se refait pas, à tous les sens du terme. Un groupe qui, comme les dieux, change de forme en conservant son essence.