François Sarano est océanographe, ancien chef d’expédition de la Calypso, alors compagnon de route et conseiller scientifique du commandant Cousteau. Il a notamment coécrit le film Océans.
Pour Lyon Capitale, François Sarano dénonce les “ravages de notre exploitation sans limite”, la disparition de tous les grands individus âgés qui “diminue considérablement la résilience et la richesse des écosystèmes”. Malgré ce tableau sombre, François Sarano s’enthousiasme des “quelques mieux” et “bonnes nouvelles”, observés ici et là. La “renaissance est possible”, dit-il, s’il y a une volonté politique et citoyenne. “Nous avons besoin de sérénité pour vivre ensemble, nous les humains. Et nous la puisons au cœur du sauvage.”
Lyon Capitale : Plongeur, vous êtes le témoin privilégié de cet univers marin et vous avez travaillé avec le commandant Cousteau sur la Calypso. Comment avez-vous vu évoluer l’océan entre Le Monde du silence (palme d’or à Cannes en 1956) et aujourd’hui ?
François Sarano : La situation est contrastée. J’ai vu le pire et quelques mieux, qui démontrent que les ravages de notre exploitation sans limite sont encore réversibles. Commençons par le pire : la surexploitation des océans. J’ai consacré mon doctorat à la reproduction et à la pêche du merlu à la fin des années 70, j’en ai donc pris conscience très tôt. On a mis à mal l’ensemble des populations de poissons exploitées, au point qu’aujourd’hui, malgré un effort de pêche infiniment plus important que dans les années 80, on ramène moins de poissons. Les armadas, dotées d’une technologie incroyablement perfectionnée pour capturer les poissons, quadrillent l’océan mondial pour ramener à peine 80 millions de tonnes de poissons marins contre plus de 90 millions à la fin des années 1980, tout en gaspillant des quantités considérables de fioul alors que l’on devrait économiser l’énergie et rejeter moins de gaz à effet de serre. Plus grave, toutes espèces confondues, on constate la disparition de tous les grands poissons adultes. Ils ont été pêchés. Et nos enfants n’en verront jamais plus (sauf si on arrête la pêche) car le rythme de notre exploitation est tel que les jeunes poissons n’ont plus le temps de vieillir ni de grandir.
Ce qui caractérise les écosystèmes actuels, à qui nous menons une “guerre sans merci”, c’est qu’ils sont tous “immatures”, c’est-à-dire constitués d’espèces composées de juvéniles et de très jeunes reproducteurs. Les espèces ne sont pas toutes en disparition, mais les grands individus âgés, eux, ont tous disparu. Leur absence diminue considérablement la résilience et la richesse des écosystèmes. C’est un peu comme si la population humaine n’était plus composée que des classes d’âge les plus jeunes, jusqu’à vingt-cinq ans. Elle ne serait pas en danger d’extinction, mais elle serait privée de toute la richesse des relations sociales des personnes plus âgées, de leur expérience, de leurs compétences, de leur sagesse, de leur amour ! Elle serait donc totalement bouleversée… C’est l’état dans lequel se trouvent tous les écosystèmes aujourd’hui.
D’autre part, le rythme effréné de notre exploitation qui touche toutes les espèces, tous les océans, toutes les régions du monde, favorise les espèces à durée de vie courte, maturité sexuelle précoce et à forte fécondité – les méduses, par exemple – aux dépens des espèces à durée de vie longue, maturité sexuelle tardive et faible fécondité – par exemple les tortues, les raies et les requins.
“La relation qui s’établit avec les grands animaux sauvages est bouleversante car elle est authentique, pure, elle ne s’achète pas”
Il vous reste 77 % de l'article à lire.
Article réservé à nos abonnés.