épi de blé dans un champ
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"Une réforme de l’OMC est nécessaire pour la sécurité alimentaire"

A l'occasion des Journées de l'économie de Lyon, Akiko Suwa-Eisenmann, directrice de recherche en économie, donne une conférence sur la sécurité mondiale.

Akiko Suwa-Eisenmann est directrice de recherche à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement et professeure à la Paris School of Economics, membre du groupe d’experts du comité des Nations unies sur la sécurité alimentaire mondiale.

Dans le cadre des Journées de l’économie – dont Lyon Capitale est le partenaire média – Akiko Suwa-Eisenmann donnera une conférence sur “La sécurité alimentaire mondiale en question”, jeudi 16 novembre en matinée.

Selon cette économiste, "l'alimentation n’est pas une marchandise mais un droit de l’homme". Or, l'organisation pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), dans son dernier rapport sur la nutrition dans le monde, a calculé le coût minimum d’une alimentation saine à environ 3,5 dollars par jour. Conséquence : "le panier minimum d’aliments sains est hors de portée pour 3 milliards de personnes sur terre en 2020".

Lire aussi : l'interview vidéo "6 minutes chrono" avec Pascal Le Merrer, professeur à l'ENS Lyon, fondateur et directeur général des Journées de l'économie

Lyon Capitale : Qu’est-ce que la sécurité alimentaire ?

Akiko Suwa-Eisenmann : La sécurité alimentaire va bien au-delà de la lutte contre la faim. Selon un rapport de la FAO [Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, NdlR] de 2001, c’est s’assurer que “tous les êtres humains ont, à tout moment, un accès physique, social et économique à une nourriture suffisante, saine et nutritive leur permettant de satisfaire leurs besoins énergétiques et leurs préférences alimentaires pour mener une vie saine et active”. Les six dimensions sont la disponibilité, l’accès (les prix), les caractéristiques nutritionnelles et sanitaires (l’utilisation), un approvisionnement constant en période de crise ou de conflit (la stabilité), le respect des conditions environnementales, sociales et économiques qui garantissent la sécurité alimentaire de demain (la durabilité) et le droit, pour les individus et les groupes, de participer aux décisions sur ce qu’ils consomment ou produisent (l’agencéité). La sécurité alimentaire touche ainsi à l’environnement, à la santé, à la culture et à la géopolitique.

Quand et dans quel contexte cette notion a-t-elle émergé ?

La notion de sécurité alimentaire s’est enrichie au cours du temps. Elle est apparue pendant le premier choc pétrolier, devant la nécessité d’assurer l’approvisionnement alimentaire tout en maîtrisant l’inflation et la volatilité des prix (Conférence mondiale de l’alimentation en 1974).

La sécurité alimentaire est l’une des conférences proposées par Les Journées de l’économie qui se tiennent à Lyon du 14 au 16 novembre. Comment la théorie économique a-t-elle abordé cette question ?

La théorie économique a d’abord abordé la sécurité alimentaire par la notion de rareté (une production insuffisante et trop chère). Les travaux d’Amartya Sen, prix Nobel 1998, sur la famine au Bengale de 1943, montrent que la sécurité alimentaire dépend aussi de la répartition des ressources et du fonctionnement des marchés.


“L’alimentation n’est pas une marchandise mais un droit de l’homme”


Comment le concept de sécurité alimentaire a-t-il évolué dans le temps et l’espace ?

La sécurité alimentaire était d’abord vue comme essentiellement du ressort de la production et on demandait à l’agriculture de fournir de la nourriture en quantité et à bas prix. Tout l’effort était axé sur le développement de l’industrie, là où se trouvent l’accumulation de capital et les gains de productivité. Désormais, on parle de systèmes alimentaires, une vision globale qui engage tous les acteurs de la chaîne alimentaire, dans la transformation, la distribution, le transport, la consommation (à la maison et au-dehors). La sécurité alimentaire est aussi affaire de qualité nutritionnelle, sociale et environnementale.

Cette exigence vaut pour tous. On ne peut accepter une sécurité alimentaire à deux vitesses, a minima pour les pauvres et de qualité pour les riches ! Les derniers développements sur la sécurité alimentaire (en termes de recherche et d’intervention) visent les populations défavorisées : les femmes (sur lesquelles repose souvent la charge de préparer les repas mais qui, dans certaines sociétés, ont moins accès à la terre et aux ressources), les jeunes et les minorités. Parmi ces dernières, les peuples autochtones, dont les connaissances informelles sur des cultures ancestrales sont souvent ignorées, alors qu’elles permettent de régénérer la terre et sont très nutritives.

L’alimentation doit-elle être prise pour une marchandise comme les autres ?

La communauté internationale considère que l’alimentation n’est pas une marchandise mais un droit de l’homme, une partie intégrante de sa dignité : avoir le droit de choisir ce qu’on mange et comment il est produit, ne pas se voir imposer un produit à l’encontre de ses préférences et de ses valeurs. Le droit à l’alimentation est affirmé dans la Constitution de plus de cent pays.

Qui aujourd’hui contrôle la nourriture, un bien alimentaire devant répondre à un objectif de rentabilité car n’étant plus considéré comme un simple bien de subsistance ?

Historiquement, il y a eu plusieurs mouvements de concentration en matière d’alimentation : une concentration de la demande sur trois céréales clés – riz, blé et maïs –, une concentration des pays exportateurs (différents de la liste des pays producteurs, car tous les producteurs n’exportent pas) et une concentration dans les systèmes alimentaires : dans la production (avec, dans les pays en développement, le phénomène d’accaparement de terres), la transformation et le commerce.

L’agro-industrie a historiquement réussi à fournir à grande échelle des aliments pas chers et respectant les principes d’hygiène. Elle doit désormais passer à l’étape suivante et intégrer les impératifs d’une alimentation saine et durable. Au sujet de la consommation de viande (à diminuer) ou de fruits et légumes (à privilégier), nous pouvons agir bien sûr en tant que consommateurs mais tout le poids de l’adaptation ne doit pas être à la charge du consommateur. Un récent rapport d’experts à la Commission européenne souligne qu’informer ou éduquer le consommateur ne suffit pas. Le rapport plaide pour des mesures plus contraignantes, comme une taxe sur les mauvais produits et une subvention sur les bons aliments, l’encadrement de la publicité ou la réglementation de la composition des aliments transformés. En l’occurrence, la bataille sur la généralisation du Nutri-Score à tous les produits et tous les pays de l’UE ou sur la publicité sur l’alcool est aussi une affaire de sécurité alimentaire contre les lobbies.

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