Il y a une part de provocation dans le titre de cet édito. Certains auront reconnu une référence à la campagne de 2008, quand, six mois avant l’échéance, Gérard Collomb s’était lâché lors d’un déjeuner de presse en proclamant : “Perben, c’est cuit !” Cela avait fait la une de Lyon Capitale, accusé par les confrères d’avoir “brisé le off”.
C’était l’époque où Gérard Collomb bénéficiait d’une grande mansuétude de la part de la presse : beaucoup de journalistes de gauche voyaient en lui un rempart contre un Dominique Perben réputé droitier et sarkozyste ; les journalistes parisiens, un bon client pour taper sur Ségolène Royal et le PS en général. Il pouvait, sans grande conséquence, déraper en menaçant de couper les subventions aux présidents d’associations qui seraient tentés de soutenir son adversaire, quand de tels propos aujourd’hui seraient sans doute repris en boucle sur les chaînes d’info. C’était l’époque où 5 000 personnalités lyonnaises se pressaient dans son comité de soutien, le pédagogue Philippe Meirieu, le fondateur de Forum Réfugiés Olivier Brachet, l’historien Bruno Benoit, l’actrice Sylvie Testud, le directeur des Nuits sonores Vincent Carry… La campagne de 2014 avait été encore plus impressionnante en la matière, tout le milieu économique, culturel, social se pressant derrière un homme semblant ne faire qu’un avec sa ville. C’était l’époque où, même parmi ses partenaires les plus turbulents, il se trouvait toujours suffisamment d’alliés indéfectibles pour lui assurer qu’un large rassemblement se ferait au final autour de sa personne. C’était l’époque où l’Ifop lui donnait 49 % des intentions de vote au premier tour, avec plus des deux tiers des Lyonnais qui estimaient l’affaire pliée…
En cet automne qui lance réellement la campagne de 2020, le sondage Ifop-Fiducial pour Lyon Capitale et Sud Radio révèle qu’une grande majorité des Lyonnais aimeraient désormais le voir passer la main. La presse nationale, hier élogieuse, en fait le symbole des contradictions macronistes, de l’usure politique et du népotisme. L’émission d’information la plus regardée par les jeunes, Quotidien, reprend à son compte notre série “House of Collomb”. L’intéressé a renoncé à s’exprimer sur les réseaux sociaux, tant le “Collomb-bashing” y est devenu virulent. Le monde économique se tient désormais à distance, quand celui de la culture, naguère bastion collombiste, a clairement pris ses distances avec le ministre de l’Intérieur dont l’action et le discours anti-migrants ont marqué un point de rupture, bien éloigné de l’idée qu’ils se faisaient de “l’humanisme à la lyonnaise”.
Les collaborateurs et élus de ses équipes confient leur écœurement devant un retour précipité – à leurs yeux, égoïste. Si les commentaires à l’égard de Gérard Collomb restent mesurés, son épouse est affublée de toutes les tares, comme si elle incarnait à elle seule tous les travers du “modèle lyonnais” et qu’elle portait seule la responsabilité d’un retour précipité et raté. Gérard Collomb n’a finalement gagné ses campagnes municipales que lorsque tous les éléments poussaient en sa faveur, il va devoir éprouver la solidité de son enracinement dans une campagne avec un fort vent de face. Pas étonnant dans ce contexte que les ambitions se réveillent, avec l’espoir de devenir en dix-huit mois de réelles alternatives. Pour Collomb, le danger peut venir de toutes parts : à sa gauche, l’union n’est pas encore faite, mais elle se dessine pour renverser un maire qui avait réussi à faire basculer à gauche une ville qui votait à droite… et paraît aujourd’hui avoir glissé au centre-droit, quand l’électorat s’est clairement déporté à gauche. Dans son camp, les macronistes n’attendent qu’un faux pas pour enclencher leur plan B, David Kimelfeld. Sur sa droite, il n’est pas anodin de voir qu’un Pascal Blache, dont Gérard Collomb espérait faire une prise de guerre, franchisse le premier le Rubicon et proclame dans ce numéro qu’il est temps de passer à “l’après-Collomb”.
Alors, non, ce n’est pas “cuit” pour Collomb. Sa notoriété, sa cote de sympathie, les intentions de vote en sa faveur (31 % au premier tour) et la faiblesse, pour l’instant, de la concurrence font qu’il reste le favori du prochain scrutin. Mais dans une ville qui ne veut manifestement plus de lui. Et l’élection d’Emmanuel Macron a démontré que, lorsqu’ils ne sont pas satisfaits du scénario annoncé, les électeurs savent parfois trouver un moyen de renverser la table.