Le choix d’un nom de rue n’est pas anodin. C’est un marquage idéologique et politique d’un territoire. L'éditorial du rédacteur en chef de Lyon Capitale.
C’est une sorte de panthéon à ciel ouvert, un livre d’histoire en plein air. Derrière un nom de rue se glisse l’histoire, souvent petite (Octavio Mey), parfois immense (Maréchal de Saxe).
Les noms de rues ne sont pas attribués au hasard. Ils véhiculent des symboles, témoignent des représentations culturelles d’une époque.
Au Moyen Âge, le peuple baptisait une rue suivant une logique purement fonctionnelle : la rue qui menait au moulin devenait “rue du Moulin”, celle qui était le terrain de jeux des filous s’appelait “rue Vide-Bourse” (sur les hauteurs de Fourvière). Dans le petit village beaujolais de Oingt subsiste la “rue Trayne-Cul” : à l’époque, les villageois descendaient au puits pour tirer de l’eau et comme il faisait très froid en hiver, le sol était gelé, on se retrouvait souvent à terre, à se traîner… sur le “cul”.
Le choix d’un nom de rue n’est pas anodin. C’est un marquage idéologique et politique d’un territoire*. La pratique remonte au duc de Sully, l’un des principaux conseillers de Henri IV : les noms de rues n’ont dès lors plus de rapport direct avec le lieu désigné mais glorifient les grands du royaume.
La Révolution, quant à elle, met en avant… les idées révolutionnaires et des valeurs comme la liberté (cours dans le 3e), l’égalité et la fraternité (rues dans le 8e), la justice ou encore la nation – et débaptise certaines rues.
Au début du XXe siècle, l’anticléricalisme fait un étripage, de type industriel, des noms de rues à consonance religieuse. Et aujourd’hui, l’éclectisme est de mise, les mouvements décolonialistes réhabilitent la débaptisation des rues, et le féminisme est en vogue.
Au-delà de leur ancrage symbolique, les odonymes font partie d’un champ plus vaste, celui de notre patrimoine culturel populaire. Ils renseignent sur notre histoire, la mémoire des lieux, nos racines.
Le mois dernier, le conseil municipal – qui, depuis 1789, a hérité du monopole de choisir les noms de rues – a voté, à l’unanimité, la dénomination de quatre nouvelles voies : la rue Nellie-Bly, du nom d’une Américaine pionnière du reportage clandestin, une forme de journalisme d’investigation, la rue Anna-Politkovskaïa, en hommage à la journaliste russe, auteure d’un portrait exhaustif de Vladimir Poutine, et assassinée en 2006, la rue Marguerite-Higgins, reporter de guerre américaine qui a couvert les conflits marquants de la moitié du XXe siècle, et la rue Elsa-Cayat, la seule femme assassinée par les frères Kouachi dans la rédaction de Charlie Hebdo.
La féminisation des rues est nécessaire. L’assentiment, général. À Lyon, c’est Thérèse Rabatel, adjointe à l’égalité hommes-femmes de 2008 à 2020 sous l’ère Collomb, qui a véritablement lancé le mouvement. À son arrivée, seules 3 % des rues avaient un nom féminin. Elles “pèsent” aujourd’hui 11 %.
Pas assez. De fait, le nouvel exécutif écologiste local a souhaité “accélérer le processus”. 90 % des nouvelles dénominations porteront le nom d’une femme, promet-il. Grand bien lui fasse.
Mais qu’ont à voir Nellie Bly, Anna Politkovskaïa, Marguerite Higgins, Elsa Cayat avec Lyon ? Et Marsha P. Johnson, militante transgenre outre-Atlantique ?
La représentativité des femmes dans l’espace public est un vrai sujet. Il suffit simplement de prendre l’exemple de la place Gabriel-Péri, cœur du quartier de la Guillotière, pour s’en rendre compte : la place des femmes ne va pas de soi.
Le gouvernement local s’empare de ce monopole de dénomination pour essayer d’ancrer une mémoire collective qui soutient, au final, ses idéaux d’ouverture aux genres, aux inégalités, plus globalement au monde. Mais les noms de rues sont avant tout un élément fondamental des identités locales.
“Un des éléments urbains où la marque du temps est la plus lisible est la voie de circulation”, atteste le géographe Dominique Badariotti. Si la dénomination d’une rue est très politique, et à certains égards idéologique, sa fonction première reste celle de vecteur mémoriel d’un passé indigène.
***La féminisation des rues est nécessaire. L’assentiment, général. À Lyon, c’est Thérèse Rabatel, adjointe à l’égalité hommes-femmes de 2008 à 2020 sous l’ère Collomb, qui a véritablement lancé le mouvement. À son arrivée, seules 3 % des rues avaient un nom féminin. Elles “pèsent” aujourd’hui 11 %.***
une logique évidente qu'il faut améliorer.
***Mais qu’ont à voir Nellie Bly, Anna Politkovskaïa, Marguerite Higgins, avec Lyon ? Et Marsha P. Johnson, militante transgenre outre-Atlantique ?
Mai ici on comprend pas du tout, ou plutôt comprend trop bien.
Total accord avec "Galapiat". Cela pourrait laisser croire que l'on n'a pas de femmes de valeur à mettre en avant dans l'histoire de France (on ne peut évidemment pas choisir des noms de personnes encore vivantes). Là la mairie fait de la démagogie à la petite semaine. et elle montre son vrai visage: honte de ce qui est français.