Exception française ? Vu de l'étranger, ce pessimisme social laisse songeur.
C'est la pandémie des temps modernes. Une affection de l'âme, sournoise, qu'on ne voit souvent pas venir, un agent, pas si secret au final, qui imprègne son hôte, lentement, avec la douceur d'un ami qui vous voudrait du bien.
Une forme de délectation morose, une propension à l'autocritique, un pessimisme contagieux, une abîme de nostalgie, « ce penchant de paresseux (qui) autorise à ne pas traquer dans le moment présent les raisons de s’enthousiasmer (qui) permet de se contenter de feuilleter le grimoire du passé en pleurnichant sur les âges d’or perdus (qui) affranchit de tout effort exploratoire constitue la revanche des geignards. » (Sylvain Tesson, dans sa préface des 'Carnets d'aventures').
Une obsession fataliste, à l'entrecroisement de l'idée d'un appauvrissement décliniste et de crédulités progressistes. Une passion triste, un désenchantement enjoué, une amertume sévère, un cynisme rugueux. Un négativisme du quotidien. Une lassitude déprimée. Un sentiment qui diminue la « force d'exister » et « la puissance d'agir » (Spinoza).
La sinistrose a la puissance de feu d'un croiseur. Elle est hautement pathogène pour l'Homme. Les 10 et 11 octobre derniers, lors des Journées nationales de France urbaine à Lyon, l'ambiance générale était à la morosité et au découragement. La sinistrose, (pas si) nouveau syndrome des élus ? La sinistrose entoure même l'OL, empêtré dans des difficultés financières et des résultats insipides.
Exception française ? Vu de l'étranger, ce pessimisme social laisse songeur. Il y a quelques années, The Economist tirait « Bleak is chic » (le sombre est chic), dans un article sur la mélancolie tricolore, le New York Times parlait, lui, d'« angoisse existentielle », le New Yorker allant même jusqu'à décrire les Français « heureux d'être malheureux ».
La sinistrose est comme un ralenti de cinéma. Qui nous laisse voir le détail qui semble invisible. Qui permet d'être en-dehors du temps. Mais déforme.
Même dans L'Adagio pour cordes, le chef d'oeuvre sombre de Barber, joué à Trafalgar Square en hommage aux victimes des attentats de 2015, ou pour les funérailles d'Einstein, de Grace Kelly et John Fitzerald Kennedy, cet éloge de la lenteur, ce instant suspendu, ce requiem qui ne dit pas son nom, les derniers aigus, en toute fin de mélodie, résonnent comme une pulsation qui nous transporte et nous engage à relever la tête. Une porte, dans le brouillard, qui s'ouvre sur un espoir. Ici aussi, l'herbe est verte.