Une Lyon Capitale 787 avril 2019

Nous voulons des coquelicots – Édito d’avril

Du glyphosate et des coquelicots, et du potentiel cancer du chien Rex.

Les coquelicots sont des mauvaises herbes, parmi les premières à réapparaître lorsque l’on arrête d’épandre des pesticides sur un champ. Pour les abeilles ou le chant des oiseaux, il faut attendre un peu plus, et vu la rapidité de la disparition des espèces, il est certain que beaucoup de gazouillis ont à jamais disparu. C’est ce constat qui a motivé notre confrère de Charlie Hebdo Fabrice Nicolino à faire fi des graves séquelles qu’il a conservées de l’attentat de 2015 et à lancer une grande campagne nationale pour l’interdiction totale des pesticides. Totale ? La question fera forcément débat, l’alternative bio n’étant pas non plus une panacée, et certains objecteront qu’il serait stupide de se priver des progrès de la science. Encore faudrait-il que les citoyens retrouvent quelque raison de faire confiance à des industriels qui leur ont tant menti, et à des institutions censées les protéger qui ont tant défailli ! Même à Lyon, où est situé le siège national de Monsanto, les emplois locaux auront du mal à faire oublier les promesses non tenues d’innocuité écologique et sanitaire de ses produits. Qui a regardé la télévision dans les années 1990 se souvient forcément des publicités avec le chien Rex qui, pour déterrer son os, verse sur une mauvaise plante un arrosoir de Roundup, “l’herbicide qui ne pollue ni la terre ni l’os de Rex”. Le tribunal correctionnel de Lyon avait condamné Monsanto en 2007 pour “publicité mensongère” – sanction confirmée en 2008 par la cour d’appel de Lyon – à une amende de 15 000 euros. Le montant paraît dérisoire lorsque notre enquête montre, dix ans après, à quel point ce produit pollue les rivières de notre région.

D’un point de vue scientifique, la question ne fait plus trop débat : le glyphosate (principal composé du Roundup) est reconnu cancérigène certain chez l’animal – donc pour Rex – et probable chez l’homme. La cour d’appel de Lyon, encore elle, dira en avril si elle reconnaît la responsabilité de Monsanto dans l’intoxication de l’agriculteur Paul François au Lasso, un autre produit de la firme américaine passée sous la coupe de Bayer, et l’indemnisera donc pour ces séquelles. Établir formellement un lien de cause à effet n’est jamais aisé, même si ce que raconte Paul François, que nous avons rencontré, paraît accablant. Ce qui ressort des Monsanto Papers l’est encore plus : ainsi la firme américaine a-t-elle sciemment organisé une campagne de désinformation scientifique, corrompant des universitaires, selon les mêmes méthodes que l’on connaissait dans l’industrie pharmaceutique ou celle du tabac. Et ce pendant des décennies, dans une impunité totale. Comment s’étonner ensuite de la perte de confiance des citoyens ?

Sur ce point, les dizaines de milliers de gens qui se mobilisent avec Fabrice Nicolino le premier vendredi de chaque mois, comme les lycéens lyonnais qui marchent pour le climat, ne sont pas très différents des Gilets jaunes. Moins médiatisé, le “mouvement des coquelicots” les a d’ailleurs précédés de quelques semaines, avec des principes de mobilisation assez proches : rassemblements dispersés dans toute la France, n’obéissant qu’à des initiatives locales de citoyens qui ne croient souvent plus dans les formes d’engagement traditionnelles. Plus de promesses et de petits pas, ils veulent des actes et annoncent une multiplication des actions de désobéissance civile dès la rentrée prochaine, avec un objectif : obtenir un référendum pour forcer la main à des élus jugés complices du système des pesticides. Fabrice Nicolino est convaincu qu’une large majorité de Français voterait alors pour un plan raisonné de sortie des pesticides en dix ou quinze ans. Il a probablement raison, car, quoi qu’en disent ou pensent les corps intermédiaires, ils auraient sans doute beaucoup de mal à convaincre les électeurs de continuer à faire confiance au système actuel…

Alors que le mouvement des Gilets jaunes semble s’épuiser, du moins dans sa forme initiale, il aura eu le mérite de rendre deux problématiques incontournables : celle du pouvoir d’achat des classes moyennes et inférieures et celle des limites de la démocratie représentative. Il est trop tôt pour dire s’ils sauront se transformer et se structurer pour imprimer durablement notre vie politique, mais ils ont déjà fait des émules qui ont compris que la rue, qui n’avait ces dernières décennies servi qu’à essayer de bloquer des réformes, pouvait être le lieu où s’obtiennent les vraies révolutions.


[Éditorial de Lyon Capitale n° 787 – Avril 2019 – En kiosques dès le 29 mars]

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