Depuis trois ans, le collège public Elsa-Triolet à Vénissieux permet à des élèves issus des quartiers populaires d’effectuer leur scolarité dès l’entrée en 6e dans une section internationale américaine, leur ouvrant la voie à un apprentissage bilingue et un parcours scolaire ambitieux.
“Aujourd’hui, ma fille pourrait tenir une conversation en anglais.” Madame Hassani, mère d’Inaya, brillante élève de 4e, est ravie d’évoquer le parcours de sa fille, une des premières élèves à avoir intégré la section internationale américaine du collège Elsa-Triolet. Pourtant, il y a encore trois ans, la présence d’Inaya dans cet établissement public REP+ (réseau d’éducation prioritaire renforcé) était bien loin d’être acquise. “À la fin du CM2, nous avions prévu de l’inscrire dans le privé”, admet madame Hassani. Mais grâce à la directrice de l’école élémentaire de sa fille, elle a entendu parler du nouveau programme proposé par la section internationale du collège Elsa-Triolet.
“Ascenseur social”
Elle a ainsi découvert ce dispositif mis en place depuis 2022 par le rectorat de Lyon qui propose un doublement des heures de langue anglaise, soit 8 heures par semaine. Mais aussi une immersion dans la culture anglo-saxonne, grâce notamment à des cours d’histoire délivrés exclusivement dans la langue de Shakespeare. Des professeurs chevronnés sont recrutés par le rectorat pour porter ce programme exigeant, loin d’être un confortable cocon scolaire.
“Les élèves ont une charge de travail importante, ils finissent souvent à 17 h 30. On leur demande d’avoir les épaules solides”, précise Ariane Bodin, professeure d’histoire-géographie qui est arrivée à Vénissieux l’année dernière pour accompagner ces élèves désireux de s’ouvrir aux langues étrangères et à la culture américaine.
Cette enseignante, qui a obtenu une certification DNL (discipline non linguistique) lui permettant d’enseigner une matière en langue étrangère, veut croire que “l’ascenseur social” fonctionne encore. “Ce sont des élèves qui ont des rêves de réussite. Ces adolescents se voient bouger, vivre à l’étranger. Leurs parents ne les imaginent pas coincés aux Minguettes.”
L’environnement familial est de fait particulièrement déterminant pour intégrer ces classes d’excellence. Les élèves sont recrutés dès le CM2 sur la base d’un dossier et des recommandations des professeurs d’école. Les jeunes postulants doivent passer un test écrit, sommaire, mais surtout un entretien oral qui évalue avant tout leur motivation.
Madame Hassani reconnaît qu’elle a “coaché sa fille” pour intégrer cette classe internationale. Sensible elle-même aux langues étrangères – qu’elle pratique au quotidien en tant qu’agente d’escale à l’aéroport Saint-Exupéry – elle ne regrette pas le choix de l’enseignement public qui pourtant “souffre d’une mauvaise image”.Elle souhaiterait qu’on mette un peu plus la lumière sur les initiatives qui “favorisent la réussite scolaire dans le public”.
Près de 80 % des élèves sont boursiers
“Notre section internationale nous permet de freiner la fuite des élèves vers le privé”, confirme Patrick Arlaud, principal du collège Elsa-Triolet, touchant des familles qui initialement “n’avaient pas choisi le public”. Il a pu également constater que “le bouche-à-oreille” avait fonctionné pour “attirer des élèves hors-secteur”, notamment dans d’autres quartiers de Vénissieux. “Avec un Indice de Position Sociale (IPS) de 68,5 % – qui mesure l’environnement socio-économique des élèves – notre établissement est l’un des plus bas de l’Académie” précise le chef d’établissement. Le collège compte 78 % de boursiers et a fait partie des établissements de banlieue de l’académie de Lyon fléchés par le rectorat. Il reconnaît néanmoins “qu’il en faudrait bien plus" pour pallier l’absence de mixité sociale dans son collège.
En 2018, le test PISA* révélait 107 points de différence entre les résultats des élèves français issus de milieux favorisés et défavorisés contre 89 points dans le reste des pays de l’OCDE. La moitié des élèves des quartiers prioritaires n’avait pas la moyenne à l’examen écrit du brevet, illustrant la fracture géographique de l’école publique en France.
En proposant des enseignements différenciés, permettant à certains élèves d’accéder à des parcours d’excellence, ces sections internationales font le pari du nivellement par le haut dans ces quartiers défavorisés. Patrick Arlaud assure que, dans la continuité de ce dispositif, des classes bilingues seront prochainement mises en place au Lycée Colbert dans le 8e arrondissement pour accueillir les élèves désireux de prolonger cette immersion culturelle et linguistique. “Aujourd’hui, les adolescents se font une culture anglophone tout seul, notamment grâce à Internet et aux réseaux sociaux”, avance le chef d’établissement, qui pointe également la présence d’enfants issus de l’immigration africaine anglophone qui ont déjà un petit temps d’avance dans la pratique de cette langue.
Citoyens du monde
Mais surtout, “beaucoup d’élèves du collège sont déjà bilingues d’une autre langue, comme l’arabe ou le turc”, constate Ariane Bodin. La professeure, qui a enseigné en Égypte dans un lycée français, assure que l’apprentissage d’une troisième langue est favorisé par ces acquis familiaux, qui deviennent ainsi une opportunité tant la maîtrise de l’anglais représente “un véritable atout” pour la suite de leur scolarité. Mais elle souhaite que sa matière, l’histoire-géographie, soit également un éveil à la citoyenneté.
Ainsi, l’année dernière, dans le cadre du cours de géographie et de l’éducation au développement durable, ses élèves de 5e de la section internationale ont bénéficié de 20 heures de formation au Modèle des Nations unies (MUN). Financé par la Métropole de Lyon, ce programme vise à sensibiliser de jeunes “citoyens du monde”, en les initiant aux débats diplomatiques. Lors de cette rentrée de septembre, ils ont restitué cette formation, en présentant une simulation autour de la question du changement climatique devant le consul américain de Lyon, Richard Johns, qui est venu au collège Elsa-Triolet assister au processus de débats, de votes puis de résolutions, menés en anglais et traduits en français, en présence des parents d’élèves. Ce travail – sous forme d’un véritable spectacle qui invite au dialogue et à l’échange – a toutefois “représenté un investissement considérable pendant un an de la part des élèves”, assure Ariane Bodin.
La section internationale fourmille de projets, notamment celui d’organiser un voyage aux États-Unis l’année prochaine. L’enseignante est aujourd’hui à la recherche de financements et de sponsors pour permettre aux élèves de concrétiser leur rêve de “s’ouvrir au monde” grâce à ce séjour. Une autre manière de refuser d’être assignés à résidence aux Minguettes pour ces jeunes qui aspirent à une émancipation sociale par la réussite scolaire.
* Le Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA) est une évaluation créée par l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), qui vise à tester les compétences des élèves de 15 ans en lecture, sciences et mathématiques.
A quand une section contre le déterminisme communautaire !