Dès son plus jeune âge, l’enfant fait l’expérience de la frustration. Confronté à une limite, un cadre, un manque, il doit renoncer à son plaisir immédiat. En quoi la frustration est-elle indispensable à sa construction ? En tant que parent, comment l’accompagner dans cet apprentissage, tout en restant bienveillant et patient ?
Entre autorité et autoritarisme, bienveillance et laxisme, les parents ont parfois du mal à trouver le juste milieu. Il ne s’agit pas de se montrer psychorigide ni de frustrer son enfant exprès, mais plutôt de l’aider à accepter et à suivre les règles de vie de la famille, de l’école… Ces règles doivent bien sûr respecter les besoins de l’enfant, son stade de développement et ses compétences. A contrario, certains parents ont du mal à frustrer leur enfant. Ils accèdent à tous ses désirs, n’osent pas dire non de peur des conflits et des crises qui en découlent… Faire plaisir à son enfant est aussi un moyen de se faire plaisir à soi-même et d’avoir l’impression d’être un bon parent. Pourtant, il faut se sentir légitime et ne pas craindre de poser un cadre ferme et structurant.
Un apprentissage de la vie en société
Apprendre à son enfant à gérer la frustration, c’est l’aider à développer ses propres ressources pour faire face aux règles, mais aussi aux refus, aux déceptions, aux imprévus… C’est un véritable apprentissage de la vie en société, qui lui permettra d’évoluer en harmonie avec les autres. Cela développe le goût de l’effort, la patience, la tolérance, mais aussi la capacité à être heureux. En effet, avoir une bonne tolérance à la frustration permet de bien s’adapter et d’affronter les aléas de la vie avec plus de recul et de sérénité. “Un enfant qui ne ferait face à aucune frustration serait dans une angoisse terrible, souligne Karine Josse, psychologue pour enfants et adolescents. En effet, le cadre et les limites rassurent. Par ailleurs, apprendre à gérer les frustrations permet à l’enfant de se décentrer, de s’adapter à l’autre. Sinon, il est maintenu dans une illusion de toute-puissance qui peut engendrer des difficultés relationnelles. Avec le risque de devenir un adulte égocentrique qui n’a pas de limite à ses désirs et qui resterait dans l’illusion qu’il peut obtenir tout ce qu’il veut, un peu à la manière d’un petit enfant.”
La phase d’opposition
Aux alentours de ses dix-huit mois, l’enfant rentre dans la phase d’opposition. C’est l’âge où il commence à dire non à tout : pour venir à table, goûter de nouveaux plats, faire sa toilette, aller se coucher… C’est une étape clé dans l’apprentissage de la frustration. Le parent va devoir s’armer de patience et garder en tête le respect des besoins de son enfant. Karine Josse explique : “Le parent doit à la fois entendre la volonté de l’enfant et être capable de le cadrer. Tout l’enjeu consiste à rester ferme, tout en évitant une relation frontale. L’idée, c’est de détourner son attention pour l’amener à faire ce qu’on lui demande. On peut mettre en place un rituel de lecture du soir afin de lui donner envie d’aller se coucher. On lui demande de donner le bain de ses poupées pour l’inciter à se laver, on lui confie un mot pour la maîtresse pour l’aider à dépasser son angoisse de l’école… Petit à petit, les habitudes vont se créer. Avec l’expérience, l’enfant intégrera les contraintes et apprendra à gérer la frustration.” Si le parent est trop directif, l’enfant le ressentira comme une violence et s’opposera encore plus. Le résultat sera le même si le parent est laxiste. “C’est en effet trop angoissant pour un enfant de ne pas avoir de cadre sécurisant. Si le parent cède trop souvent, l’enfant continuera de s’opposer à lui, jusqu’à ce qu’il change de posture et remette du cadre”, ajoute la psychologue.
La gestion des crises
Il ne faut pas hésiter à annoncer les règles à l’avance : on ne fait que deux tours de manège, on n’achète pas de bonbons au supermarché… Cela permet de préparer l’enfant et d’anticiper les débordements. “Les premières courses au supermarché avec mon fils ont été terribles, se souvient Sophie, mère de Gaspard, trois ans. Pourtant on essayait de faire vite, on le prévenait qu’on n’achèterait pas de jeux. Et, systématiquement, il réclamait, pleurait, criait… ça pouvait être impressionnant. On tenait bon, on lui parlait gentiment, en revanche on écourtait les courses… Et puis, au bout de quelques fois, il s’est super bien comporté, il nous faisait même rire car il répétait sans cesse : ‘On n’achète pas de jouets aujourd’hui !’.” Mais parfois, cela ne suffit pas. Car même prévenu, l’enfant peut faire de véritables crises, hurler, se rouler par terre… Et c’est normal ! Avant au moins cinq ans, il n’a pas la maturité émotionnelle pour gérer seul certaines insatisfactions. Le parent doit faire preuve de patience et rassurer son enfant sur son amour inconditionnel. “Il faut accepter que son enfant pleure, crie… Ce n’est pas grave !, affirme Karine Josse. Cela lui permet d’évacuer le stress et l’angoisse. C’est aussi ce qui le construit et lui apprend, petit à petit, à tolérer la frustration. Il faut garder son calme, mettre des mots sur ce qui se passe : ‘Oui c’est compliqué d’arrêter quelque chose qui fait plaisir, mais ce n’est pas possible de continuer.’ Puis on l’aide à passer à autre chose en faisant diversion, et on ne revient pas sans cesse dessus. Le parent doit éviter de se mettre en colère. C’est contreproductif et l’enfant risque de déborder à nouveau, dans l’espoir que, cette fois-ci, son parent ne s’énerve pas. Attention aussi à ne pas confondre ces crises avec des colères liées à la fatigue de l’enfant. En effet, le parent doit jouer son rôle et le protéger d’un trop-plein de stimulations externes, comme passer des heures dans un centre commercial ou encore traîner tard le soir avec les adultes au lieu de le coucher.”
Faire preuve de souplesse
Si le cadre a été bien mis, la tolérance à la frustration grandit en même temps que l’enfant. Et c’est tant mieux. Car les sources d’insatisfaction sont nombreuses et l’enfant, régulièrement confronté au principe de réalité, doit pouvoir mettre son désir entre parenthèses. Il doit en effet être capable de faire ses devoirs avant de jouer, d’accepter les propositions de jeux de ses camarades et de ne pas être toujours celui qui décide, de prendre sur son temps libre dans le but de participer aux tâches de la maison… Pour Karine Josse, le parent a toujours un rôle à jouer. “Il doit essayer d’accepter que son enfant ne soit pas comme il l’imaginait : il peut avoir de mauvaises notes, des relations amicales qu’il n’approuve pas forcément… Cela limitera les sources de frustration inutiles… Il faut aussi apprendre à son enfant à relativiser. L’idéal étant de trouver un juste milieu entre écoute inquiète et banalisation. On discute avec lui, sans en faire tout un drame.” À l’adolescence, les choses peuvent se corser : les sujets de conflits sont nombreux – gestion du temps d’écran, du sommeil, du travail scolaire, des sorties… – et le jeune entend bien s’imposer. “Aux alentours de treize ans, ma fille a commencé à s’opposer systématiquement à tout ce qu’on lui demandait, raconte Anne-Sophie, mère de Violette, quinze ans. Tout devenait compliqué, le travail scolaire, les sorties avec ses amies, la gestion de son portable… On a fini par discuter avec elle et on a compris que certaines règles n’étaient plus adaptées à son âge. On a fait, ensemble, quelques aménagements. Du coup, elle est beaucoup moins dans l’opposition, elle sait que le cadre mis en place est légitime et elle le respecte sans trop de difficultés.” “Les limites éducatives doivent être en accord avec le développement de l’enfant. Il faut être ouvert à la discussion, ne pas hésiter à échanger sur les règles avec lui. On essaie de trouver un consensus. Cela permet aussi de s’adapter à la personnalité de l’enfant”, recommande la psychologue.
On notera que l’apprentissage de la frustration sera d’autant plus facile si le parent gère bien les contrariétés. Comme en tout, il est un modèle éducatif et son enfant s’inspire, sans même en être conscient, de son comportement.