À l’occasion de la sortie du film L’Homme qu’on aimait trop, réalisé par André Téchiné, Lyon Capitale revient sur l’affaire Maurice Agnelet–Agnès Le Roux.
L’histoire débute il y a plus de trente ans. Agnès Le Roux (photo ci-dessus), riche héritière de 29 ans, disparaît à la fin du mois d’octobre 1977, pendant les vacances de la Toussaint. On ne retrouve plus de traces d’elle ni de sa voiture, une Range Rover blanche. Un scénario digne des meilleurs films d’Hollywood se profile alors.
Nice, ses casinos, son argent
Agnès est la propriétaire d’un casino à Nice, le Palais de la Méditerranée. Depuis un an, elle fréquente Maurice Agnelet, avocat à la réputation controversée. L’homme, souvent décrit comme un type antipathique, accumule aussi les aventures et ne semble guère fidèle à Agnès. Pourtant, la jeune femme est “comme aveuglée”, selon le témoignage d’une amie ; elle l’aime mais lui, visiblement, pas.
Durant leur liaison, elle va même jusqu’à vendre ses parts du Palais de la Méditerranée à l’ennemi intime des Le Roux, Dominique Fratoni, un autre patron de casinos à Nice. En échange, 3 millions de francs vont être versés sur un compte suisse au nom d’Agnès et Maurice. Renée Le Roux et sa fille ne se parlent plus.
“Avec toi, jusqu’à la mort”
En octobre 1977, la jeune femme fait deux tentatives de suicide. À son réveil à l’hôpital, elle écrit à Maurice “avec toi jusqu’à la mort”. À la Toussaint, la jeune femme se volatilise. Du fait de leur querelle familiale, sa mère ne portera plainte que trois mois plus tard. Une information judiciaire est ouverte le 1er mars 1978 pour séquestration arbitraire.
Renée Le Roux est persuadée que Maurice Agnelet est coupable, mais un non-lieu sera prononcé en sa faveur en 1985. Il est innocenté par le témoignage d’une ancienne compagne, Françoise Lausseure, qui assure qu’Agnelet était ce jour-là avec elle à Genève.
Agnelet condamné dans le montage financier
C’est le volet financier de l’affaire qui va rattraper Maurice Agnelet, à la fin des années 1980. Il doit répondre devant la justice du montage financier élaboré avec Dominique Fratoni pour obtenir le contrôle du Palais de la Méditerranée. En 1990, il est condamné à trente mois de prison dont deux ans fermes pour complicité de vente d’actions et abus de confiance.
Dans l’esprit de Renée Le Roux, une certitude désormais : Maurice Agnelet a bien tué Agnès, pour récupérer seul les 3 millions de francs dormant dans un compte suisse. C’est là-dessus que l’accusation bâtira ensuite son hypothèse.
La volonté d’une mère
Les années passent, mais la ténacité de Mme Le Roux mère demeure. Les enquêtes privées contre Agnelet se multiplient. Pour écarter la prescription, Renée Le Roux use même d’un joli tour de passe-passe en déposant plainte pour recel de cadavre. “C’est ma mère qui a porté ce dossier, qui s’est battue”, confirme Jean-Charles Le Roux, le frère d’Agnès, qui suit attentivement le dossier depuis des années.
En 1999, coup de théâtre : Françoise Lausseure affirme qu’elle a donné un faux alibi à l’instruction en 1981, Maurice et elle n’ont jamais voyagé en Suisse lors de ce fameux week-end de la Toussaint 1977. Son témoignage sera un moment clef du procès de Rennes en 2014.
À cette époque, Maurice Agnelet est depuis longtemps radié du barreau, et n’est plus franc-maçon. Il s’installe un temps au Québec, souhaite même obtenir la nationalité canadienne. En 2000, il vit au Panama.
Une nouvelle instruction débute et il est mis en examen pour homicide volontaire puis pour assassinat en mai 2004. Maurice Agnelet ne fuit pas la justice : il revient en France, pour être finalement renvoyé devant les assises.
Acquitté puis condamné
Un nouveau procès débute le 23 novembre 2006 à Nice. La journaliste du Monde Pascale Robert-Diard raconte les débats sur son blog. Il y a la passion, touchante, d’Agnès pour Maurice, qui lui ne la voit pas. Et cette conversation enregistrée quelques jours avant la disparition d’Agnès : “Je te rappelle”, lui dit-il alors qu’elle sanglote. Il ne la rappellera pas. Comme il ne semble pas préoccupé par l’absence d’Agnès, malgré les appels répétés de son frère.
Pendant le procès, la partie civile, en la personne de Me Kiejman, met en avant la personnalité de l’accusé, retorse et dominatrice à l’époque. Pas ce sexagénaire en pantalon de velours et col roulé, présent à la barre. La défense, elle, pose les éternelles questions “où, quand, comment ?” Pas de réponse. Quatre semaines de débats pour un acquittement : “Le doute doit profiter à l’accusé”, avait alors avancé l’avocat de Maurice Agnelet, Me Saint-Pierre, en ciblant sa plaidoirie sur l’erreur judiciaire.
Le parquet interjette appel, l’affaire n’est pas finie. À peine un an plus tard, le 17 septembre 2007, s’ouvre le procès en appel devant la cour d’assises d’Aix-en-Provence. Michel Henry, journaliste à Libération qui a consacré un livre à Maurice Agnelet, relève au chapitre des charges les annotations bizarres dans des exemplaires de la Pléiade. L’accusé y écrit : “Reclassement du dossier, liberté”. Car Agnelet est un “archiviste acharné”, selon le journaliste.
Pourtant, aucun élément nouveau ne vient s’ajouter au dossier. Ce procès est la copie conforme du précédent. La défense soutient que l’ancienneté des faits ne permet pas un procès équitable, qu’il n’y a pas de preuves formelles, pas de corps. Et les éternelles questions : où ? quand ? comment ? Pourtant, Maurice Agnelet est condamné à 20 ans d’emprisonnement le 11 octobre 2007.
Le procès de Rennes
Ce troisième procès marquera l'histoire judiciaire : l'univers des casinos de la Côte d'Azur, la personnalité de l'ancien avocat, la mystérieuse disparition, le drame familial avec les accusations de Guillaume Agnelet, la dignité de la famille Le Roux...
Pour la première fois, Anne Litas, la mère de ses enfants, est venue témoigner à son procès. Les révélations de Guillaume Agnelet, qui avait pourtant défendu son père lors des deux premiers procès, ont bouleversé les débats, l'audience virant à la tragédie familiale. Guillaume a affirmé avoir reçu les confidences de son père, puis de sa mère : Maurice Agnelet a bien tué Agnès Le Roux, selon lui. Aujourd'hui âgé de 45 ans, Guillaume Agnelet a décrit un scénario machiavélique, l'ex-avocat niçois ayant tué la jeune femme d'une balle dans la tête alors qu'ils faisaient du camping sauvage en Italie. Cette version a été formellement contestée par sa propre mère et par Maurice Agnelet. Une enquête préliminaire a cependant été ouverte par les autorités italiennes suite à ce témoignage. Fin juin, la justice italienne a clos le dossier.
Avant que les jurés ne partent délibérer, Maurice Agnelet a tenu ses derniers propos de l'audience : “Je voudrais leur demander pardon pour le mal que j’ai fait, pour l’attitude que j’ai eue après la disparition incroyable d’Agnès”, a-t-il affirmé en s’adressant à la famille Le Roux. Condamné à 20 ans de réclusion criminelle, Maurice Agnelet poursuit son combat judiciaire : il a fait un pourvoi en cassation.