Grenoble tribunal
photo d’illustration © Léa Ducré

La “veuve noire” plaide qu’elle n’a “pas eu de chance”

Bousculée par les différentes auditions lors de son procès, Manuela Gonzalez reste impassible. Si trois de ses compagnons successifs sont morts et que deux autres ont frôlé la mort, dans des circonstances un peu similaires, c’est qu’elle n’a “pas eu de chance”.

Ses cheveux noirs jais, détachés, lui donnent l’allure sensuelle du personnage de la "veuve noire". Elle en a le charisme et la beauté. Mais cette chevelure est sagement rangée derrière ses oreilles. Manuela présente aussi bien la modestie qui sied au rôle qu’elle se donne, celui d’une femme ordinaire que la malchance poursuit.

Depuis deux jours, la salle du palais de justice de Grenoble est comble. La foule est venue observer celle qu’on surnomme la "veuve noire de l’Isère". Elle comparaît jusqu’à vendredi pour le décès de son dernier mari, dont le corps avait été retrouvé calciné dans sa voiture en 2008.

Il n’est pas le seul conjoint de Manuela à connaître une mort prématurée. Autour d’elle, les hommes ont une fâcheuse tendance à disparaître dans des circonstances tragiques. Trois sont décédés, brûlés ou asphyxiés après avoir ingéré des médicaments. Deux autres ont frôlé la mort dans des occasions étrangement similaires. "Je n’ai pas eu de chance", assure Manuela d’une voix ferme. Depuis plus de quatre ans sa ligne de défense est la même. Au fil de l’audience, son ton reste péremptoire, coupant, son attitude rogue mais polie.

Son avocat, Me Ronald Gallo, défend aussi une femme que rien n’accuse mais que les médias desservent, trop intéressés au "personnage qu'ils ont créé". Pour dépasser le séduisant personnage de fiction, les experts ont défilé à la barre pour tenter d’établir le portrait de cette femme énigmatique. Mystérieuse infortunée qui enchaîne les veuvages.

“Ce n’est pas possible”

"Ce n’est pas possible", répète Manuela. Elle aura lancé la réplique plus d’une dizaine de fois ces derniers jours. Quels que soient les faits qui lui sont reprochés – petites arnaques ou homicide –, quels que soient les éléments matériels, elle s’en tient à cette réponse. Sa ligne : la dénégation permanente.

Monitrice d'auto-école durant de nombreuses années, Manuela se voit retirer son agrément en 2005, condamnée pour trafic de permis. Elle gagne alors sa vie comme assistante maternelle mais, en 2008, elle arrête de travailler. Une chute dans l’escalier l’aurait rendue amnésique. Au CHU de Grenoble, les médecins ne décèlent "aucune cause organique" de ses troubles de la mémoire. Après avoir tenté en vain de la soigner, l’hypothèse de la simulation apparaît "la plus probable", explique l’expert médical. Face à ces affirmations, Manuela ne cille pas. "On ne peut pas simuler durant des mois et des mois", se défend-elle. Le président lui rétorque : "C’est ce qui vient d’être dit pourtant." Elle insiste : "Ce n’est pas possible."

Manuela aurait également produit de fausses déclarations pour différentes fraudes à l’assurance. Un inspecteur d’assurance dépeint une "femme vénale". Autour de chaque incident, l’intérêt pécuniaire émerge. La veuve est "généreuse" mais accro au jeu. Ses économies passent toutes dans les machines ou sur les tapis verts. Elle aurait utilisé plus de vingt comptes bancaires à son nom ou à ceux de ses proches.

Durant son invalidité liée à l’amnésie, Manuela retourne vivre chez ses parents. Elle dit être alors restée "cloîtrée dans sa chambre". Son dossier stipule pourtant qu’elle a fréquenté le casino d’Uriage à cette période. Nouvelle contradiction. "Ce n’est pas possible", assène-t-elle de plus belle.

Même réponse quand vient la question de la procuration qu’elle aurait signée à la place de son mari pour pouvoir hypothéquer la maison sans son accord. Elle conteste l’avis de l’expert en études manuscrites. "On signe une procuration devant un agent de banque", affirme-t-elle, laissant entendre qu’elle n’a pas pu signer à la place de M. Cano. "Ce n’est pas possible."

Ses réponses sont catégoriques, son aplomb désarmant. Même acculée devant les preuves, elle parvient à se décharger. Si elle a fait des déclarations contradictoires sur son passé ou le déroulement des faits, elle évoque sa mémoire défaillante, un "état de choc" ou encore son jeune âge : "Je ne savais pas quoi dire lors des interrogatoires", fait-elle valoir sur ses premières déclarations. Jamais responsable, elle a toujours une réponse, une explication, une excuse. Face à elle, les questions ricochent. Personne ne la pousse dans ses retranchements.

Veuve crédule

Manuela reste pourtant difficilement crédible en veuve crédule. Durant les auditions, elle prend des notes puis, quand vient son tour, elle corrige les "erreurs" des experts, apporte des précisions. Le psychologue Gérard Poussin dépeint une "personnalité étrange, difficile à cerner". Bien qu’elle essaie de se présenter "sous un jour favorable", il note "une forte capacité à contrôler ses émotions". Un constat partagé par l’enquêteur de personnalité : "Ce qui frappe immédiatement, c’est son aplomb et sa capacité à livrer un discours lisse et vide d’affect."

Ses sœurs, sa fille, son amie la décrivent comme une femme banale mais sympathique, "bosseuse", "serviable" et "généreuse". Manuela défend cette normalité. "Je suis comme tout être humain qui travaille pour s'en sortir, pour payer ses dettes", revendique-t-elle, le regard droit. Un quidam en somme. Qui reconnaissait, il y a trente ans, avoir endormi son deuxième compagnon pour le voler. Une façon de gagner sa vie pas tout à fait anodine.

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