Déjà 365 000 individus sont dans cette base informatique. Demain, elle en comptera des millions.
Au départ, il ne s'agissait que de ficher les délinquants sexuels. A l'arrivée, l'auteur du plus petit larcin peut avoir sa fiche ADN. Résultat : on vous suit "à la trace". La moindre goutte de sperme ou de salive, le cheveu le plus fin ou le morceau d'ongle le plus ridicule contient de l'ADN. Vu que cette molécule supporte les informations génétiques de chaque individu, il suffit de faire le rapprochement entre une trace laissée sur le lieu du crime et le profil génétique d'une personne pour confondre un suspect. Encore faut-il avoir enregistré au préalable l'ADN de suffisamment de monde. C'est aux forces de l'ordre qu'il revient d'effectuer ce "prélèvement biologique". Grâce à un petit batônnet introduit dans la bouche, ils prélèvent une trace d'ADN qu'ils envoient au Laboratoire de la police scientifique française, implantée à Ecully. Les policiers scientifiques réalisent alors le génotypage de l'individu avant de le transmettre au bureau d'à côté, au Service central d'identité judiciaire (SCIJ) pour qu'il conserve, quarante ans durant, l'empreinte génétique. Depuis juin 2006, le Laboratoire d'Ecully est en pleine capacité et traite jusqu'à 125 000 traces par an. En six ans de fonctionnement, le Fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG) comporte déjà 365 000 individus dans sa base de données. L'objectif est d'atteindre plusieurs millions de fiches. Une croissance exponentielle permise par les lois de sécurité quotidienne du gouvernement Jospin (2001) et dernièrement par Perben II (2004) qui autorisent désormais un prélèvement biologique sur quasiment toutes les personnes condamnées ou mises en cause pour un crime et un délit. C'est ainsi qu'une Lyonnaise de 28 ans, Valérie*, a dû subir ce prélèvement, un an après avoir été condamnée à 400 euros d'amende pour le vol d'une robe au Printemps. Cette peine dérisoire la fait donc entrer dans le fichier sensé combattre les violeurs, criminels et autres dangereux gangsters. Philippe Mallet, le responsable du FNAEG, défend l'élargissement de cette base de données informatiques : "il faut se donner les moyens de lutter contre la délinquance. Plus on a d'individus fichés dans la base, plus on a de chance de résoudre des affaires". Il prend pour exemple le meutre et le viol d'une fille à Montpellier, resté sans solution il y a vingt ans. "Suite à une banale bagarre, la police a pratiqué des prélèvement ADN sur plusieurs individus. Un de ces profils génétiques a pu être rapproché d'une trace ADN prélevée vingt ans plus tôt sur les lieux du crime".
Une société à la Big Brother ?
Faut-il alors ficher l'ensemble de la population pour augmenter le taux de résolution des enquêtes de police ? Récemment, Christian Estrosi, ministre délégué à l'Aménagement du territoire et surtout représentant de Nicolas Sarkozy pour la coopération policière au sein de l'Union européenne, a déclaré que "les citoyens seraient mieux protégés si leurs données ADN étaient recueillies dès leur naissance" (Le Monde du 16 janvier 2007). Alors que les possibilités de fichage ont été élargies sans un véritable débat public, c'est un vrai choix de société qui se pose : la lutte contre l'insécurité doit-elle prendre le pas sur les libertés individuelles ? "Ce fichage est totalement disproportionné, dénonce le Syndicat de la magistrature. La volonté de répertorier le plus grand nombre de personnes est déjà une grave atteinte aux libertés et à l'intégrité des personnes. Que se passerait-il sous une société totalitaire ?" Au contraire, Alex Türc, président de la CNIL**, se voudrait rassurant : "ce fichier soulève des interrogations car il touche à la génétique. Mais il faut préciser que ce sont des empreintes non codantes (qui ne permettent pas le clonage) qui sont conservées. Par ailleurs je peux vous assurer qu'aucune personne ne nous a saisis pour se plaindre d'être dans cette base informatique". Mais il ajoute que la CNIL n'a pas les moyens d'assurer le contrôle d'un tel fichier...
Depuis un an, les actes de résistance se multiplient : des faucheurs d'OGM, des militants anti-CPE ou d'autres activistes ont refusé de se faire prélever leur ADN***. Selon la loi, ils risquaient un an de prison ferme. Jusque là, les juges ont été relativement cléments, en ne condamnant qu'à 500 euros d'amende. Dernier refus en date, celui de Camille arrêtée dans le Beaujolais. La Gendarmerie la soupçonnait d'avoir fumé du cannabis et voulait la ficher. Elle ne s'est pas soumise à ce prélèvement biologique. Dans sa déposition, elle a expliqué qu'elle ne veut "pas cautionner une société qui ressemble à celle que décrit George Orwell dans 1984". Son procès aura lieu le 21 mars à Mâcon.
*Le prénom a été changé
**Commission nationale de l'informatique et des libertés, en charge du contrôle des fichiers.
**Ils s'organisent autour d'un site http://refusadn.free.fr
Le procès de Camille : les dérives d'un fichier
Le 21 mars sera jugé Camille qui a refusé de se soumettre à un prélèvement biologique. La scène s'est déroulée dans le Beaujolais, au début du mois de septembre 2006. Lors d'un banal contrôle routier, les gendarmes découvrent dans la voiture de l'ami de Camille, une pipe à eau. Rien ne se passe le soir-même. On lui demande seulement de se présenter à la gendarmerie. Le lendemain, on lui précise qu'on la soupçonne d'avoir usé de stupéfiant et que, du coup, on va procéder au prélèvement de son ADN. Elle refuse. Poursuivie par le parquet, elle devra répondre de ce refus. Son avocat, le Lyonnais Jacques Debray explique : "pour moi, cette affaire montre la dérive d'un fichier. Les gendarmes n'ont même pas pris soin de vérifier si le délit qu'on lui reproche est dans la liste qui ouvre une possibilité de fichage. Or la simple consommation n'est pas un délit qui le permet !" Et de conclure, "on est en train de constituer un fichier de population alors qu'on n'a pas de garantie suffisante sur son utilisation". Camille encourt 15 000 euros d'amende et 1 an de prison ferme.
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