L’affaire porte son nom, mais il n’a pas comparu seul. Au-delà du droit, le procès du cardinal Barbarin a mis en lumière les défaillances de l’Église dans la gestion des prêtres pédophiles. Le jugement sera rendu ce jeudi dans la salle C du TGI. Celle-là même qui a accueilli le procès pendant quatre jours début janvier.
L’article ci-dessous est paru dans le n°785 de Lyon Capitale (février 2019)
“Procès médiatique”, “acharnement contre un homme”. Le procès de Lyon ne fut rien de tout cela. Il fut tour à tour humain, solennel, grave, technique, cru, mais n’est jamais tombé dans la chasse à l’homme annoncée. Les boiseries marron-jaune de la salle C du TGI avaient des allures de confessionnal. L’allure seulement. Car ici la parole était pour la première fois publique. Cette parole qui a manqué à toutes les victimes du père Preynat depuis trente ans. “Ce procès va nous servir personnellement. Notamment pour ceux pour lesquels les faits sont prescrits, parce que l’on a pu s’exprimer publiquement devant les responsables religieux et faire passer un message à l’Église en général”, confiait à l’issue des audiences M.F, l’une des parties civiles. Le procès lyonnais a aussi permis de mettre en avant le manque de réactivité de l’Église dans l’affaire du prêtre pédophile.
Les silences de l’Église
“J’ai respecté ce que m’a demandé de faire Rome”, répond inlassablement Philippe Barbarin. Pendant près de trois heures de questions, ce 7 janvier, sa version ne bouge pas d’un iota. Il dit avoir entendu des rumeurs en “2007 ou 2008”. Elles se vérifient le 31 mars 2010, quand il reçoit le père Preynat. Ce dernier avoue tout. Le cardinal lui demande alors si des enfants ont été “abîmés” depuis 1990. “Il me répond que non”, certifie au tribunal l’archevêque de Lyon. “À ce moment-là, pas de prise en compte de ces rumeurs ?” s’étonne la juge. “Si vous dites “n’est-ce pas imprudent ?” les faits vous donnent raison. J’aurais dû y penser et le laisser dans l’ombre pour qu’il se fasse discret”, répond Philippe Barbarin. Mettre dans l’ombre plutôt que saisir la justice. Ce que lui reprochent les victimes. Lui assure n’avoir eu une connaissance précise des faits qu’en 2014, lorsqu’il rencontre AlexandreHezez. Il contacte alors Rome. Le Vatican lui répond en janvier de retirer le père Preynat de toute fonction où il aurait un contact avec des enfants, “sans scandale public”. Le cardinal met fin à son mandat à partir de septembre pour justement ne pas “heurter la paroisse”. Ne pas faire de vagues. Il n’est pas le seul à avoir eu connaissance du passé pédophile du père Preynat depuis 2010. Il y a d’abord l’évêque Thierry Brac de La Perrière, qui a reçu en 2011 une autre victime du prêtre pédophile, Laurent Duverger. Ce dernier assure que l’homme d’Église lui a répondu : “Preynat, on l’a à l’œil. Il n’est plus en contact avec des enfants.” Mgr Brac de La Perrière “n’en a pas le souvenir”.Il y a aussi Xavier Grillon, en poste dans le Roannais et en contact régulier avec Preynat depuis 2011, qui a rencontré Alexandre Hezez en 2015. Xavier Grillon est en contact avec le cardinal Barbarin, qui lui demande de notifier au prêtre pédophile qu’il vadevoir quitter ses fonctions. “Pourquoi le laisser encore de mai à septembre 2015 ? Seulement pour des raisons organisationnelles ?” interroge la juge. “Qui aurait repris ses fonctions ? C’est moi. Je ne voyais matériellement pas comment le faire”, répond-il. Ces arguments de la défense scandalisent Pierre-Emmanuel Germain-Thill, victime lui aussi du prêtre : “Je suis abasourdi d’entendre parler d’échos, de rumeurs, de la part de gens qualifiés, à propos de pédophilie.” “Ce procès montre tout le mécanisme mis en place dans cette institution. Quand on dit “j’attends l’avis de Rome avant celui de la justice française”, ça prouve les dysfonctionnements”, abonde Alexandre Hezez.
Le monde face aux faits
Deux témoignages ont marqué le procès. Il est près de 16 heures, le deuxième jour, quand Christian Burdet prend la parole. Et raconte. Il avait 11 ans quand il est entré dans le groupe scout du père Preynat. Ses mots sont précis. Détaillent ce qu’il a subi. Il ne s’agit plus de “rumeurs”, d’“agressions sexuelles” dont on ne saurait pas vraiment ce qu’elles recouvrent. La description est clinique. “Un soir, le père Preynat m’a enfermé dans sa tente. Il m’a serré près de lui. Il sentait le cigare froid. Je détestais ça. Il m’a embrassé sur la bouche en y mettant la langue. Il a commencé à me caresser. Il m’a dit : “Mon garçon, c’est notre secret, il faut n’en parler à personne.” Il m’a alors embrassé partout et m’a fait une fellation. Il m’a demandé de faire la même chose. Il m’a allongé sur lui tout en me masturbant. J’avais honte. Il a pris ma main pour que je fasse pareil. Je sentais son sperme couler sur moi. Il a pris une serviette pour m’essuyer le corps, les mains. Je suis retourné dans ma tente me coucher. Je croyais que c’était normal. Je me disais : Ce n’est pas possible, j’ai couché avec le curé.”
Le mercredi, au troisième jour du procès, apparaît Didier Bardiai. Présenté par son avocate. “Au début, Didier Bardiai disait ne pas avoir le courage de s’afficher à visage découvert. C’est la première fois aujourd’hui qu’il apparaît. C’est cette neuvième chaise occupée cet après-midi. Avant que le procès démarre,il m’a dit qu’il ne s’en sentait pas capable. Et puis il finit par avoir envie d’être là. Un peu pour lui, un peu aussi pour soutenir les autres. Ce matin, il était là dans le public. Finalement il s’est dit : Je vais me mettre avec eux. Sa femme ne le savait pas. Sa femme ne le sait que depuis quelques heures. Il lui a dit ce matin par téléphone. Maintenant, elle sait. Maintenant, il est sur la neuvième chaise.” Didier Bardiai a la tête dans les mains. Didier Burdet lui prend le poignet.
Le droit, rien que le droit
Les avocats du cardinal ont refusé de laisser ce procès devenir celui de l’Église. “J’ai été soulagé d’entendre ce que vous aviez à dire et bouleversé par ça. Je dis que vous avez fait avancer les choses, mais je dis aussi que cette procédure était de trop. L’émotion ne crée pas le droit et le droit n’a pas à en dépendre”, martèle Me Luciani.“Mais pourquoi le cardinal Barbarin a-t-il mis de longs mois pour écarter Preynat ?” lui répond la présidente. “Ça ne concerne pas M. Barbarin”, balaye d’une main l’avocat, qui se fait plus grinçant : “J’ai du mal à entendre que neuf mois c’est long, peut-être à cause de ma fréquentation des couloirs de la justice… Parce que, dans ce domaine, on n’est pas bien placé pour faire des leçons.” S’il admet des “fautes de gestion”, celles-ci ne constituent en rien pour lui des “fautes pénales”.
Une grande juge
En 2016, le parquet avait décidé de classer l’affaire. En janvier 2019, il s’est tenu à cette décision. Les parties civiles ont choisi la citation à comparaître pour que l’affaire soit jugée. Faute de parquet pour mener l’accusation, ce sont elles et les juges qui ont occupé cette fonction. La présidente du tribunal, Brigitte Vernay, a marqué les débats de son empreinte. Empathique et parfois grinçante, avec les forts comme avec les faibles, elle a instruit à charge et à décharge. Quand le cardinal se défausse sur Rome, elle lui demande : “Mais pourquoi avez-vous besoin de Rome à ce point ? Vous êtes une personne de pouvoir.” Face aux victimes, son émotion est palpable, mais elle ne se dérobe jamais : “Selon vous, quel préjudice avez-vous subi de la part des six personnes citées ? Vous étiez majeur, pourquoi ne pas avoir porté plainte vous-même ?” À elle désormais de trancher sur la réalité de la non-dénonciation et sur la prescription des faits. Elle rendra son jugement ce jeudi 7 mars.