Maurice Agnelet, accusé du meurtre d’Agnès Le Roux, sera jugé à partir de ce lundi une troisième fois, à Rennes. Dans cette affaire, l’ancien avocat niçois a d’abord été acquitté, puis condamné en appel à 20 ans de réclusion. En janvier 2013, la Cour européenne des droits l’homme a estimé que l’homme, aujourd’hui âgé de 76 ans, n’avait pas bénéficié d’un procès équitable. Retour sur une affaire hors norme.
L’histoire débute il y a plus de trente ans. Agnès le Roux (photo ci-dessus), riche héritière de 29 ans, disparaît à la fin du mois d’octobre 1977, pendant les vacances de la Toussaint. On ne retrouve plus de traces d’elle ni de sa voiture, une Range Rover blanche. Un scénario digne des meilleurs films d’Hollywood se profile alors.
Nice, ses casinos, son argent
Agnès est la propriétaire d’un casino à Nice, le Palais de la Méditerranée. Depuis un an, elle fréquente Maurice Agnelet, avocat à la réputation controversée. L’homme, souvent décrit comme un type antipathique, accumule aussi les aventures et ne semble guère fidèle à Agnès. Pourtant, la jeune femme est “comme aveuglée”, selon le témoignage d’une amie ; elle l’aime mais lui, visiblement, pas.
Durant leur liaison, elle va même jusqu’à vendre ses parts du Palais de la Méditerranée à l’ennemi intime des Le Roux, Dominique Fratoni, un autre patron de casinos à Nice. En échange, 3 millions de francs vont être versés sur un compte suisse au nom d’Agnès et Maurice. Renée Le Roux et sa fille ne se parlent plus.
“Avec toi, jusqu’à la mort”
En octobre 1977, la jeune femme fait deux tentatives de suicide. À son réveil à l’hôpital, elle écrit à Maurice “avec toi jusqu’à la mort”. À la Toussaint, la jeune femme se volatilise. Du fait de leur querelle familiale, sa mère ne portera plainte que trois mois plus tard. Une information judiciaire est ouverte le 1er mars 1978 pour séquestration arbitraire.
Renée Le Roux est persuadée que Maurice Agnelet est coupable, mais un non-lieu sera prononcé en sa faveur en 1985. Il est innocenté par le témoignage d’une ancienne compagne, Françoise Lausseure, qui assure qu’Agnelet était ce jour-là avec elle à Genève.
Agnelet condamné dans le montage financier
C’est le volet financier de l’affaire qui va rattraper Maurice Agnelet, à la fin des années 1980. Il doit répondre devant la justice du montage financier élaboré avec Dominique Fratoni pour obtenir le contrôle du Palais de la Méditerranée. En 1990, il est condamné à trente mois de prison dont deux ans fermes pour complicité de vente d’actions et abus de confiance.
Dans l’esprit de Renée Le Roux, une certitude désormais : Maurice Agnelet a bien tué Agnès, pour récupérer seul les 3 millions de francs dormant dans un compte suisse. C’est là-dessus que l’accusation bâtira ensuite son hypothèse.
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La volonté d’une mère
Les années passent mais la ténacité de Mme Le Roux mère (photo ci-dessus) demeure. Les enquêtes privées contre Agnelet se multiplient. Pour écarter la prescription, Renée Le Roux use même d’un joli tour de passe-passe en déposant plainte pour recel de cadavre. “C’est ma mère qui a porté ce dossier, qui s’est battue”, confirme Jean-Charles Le Roux, le frère d’Agnès, qui suit attentivement le dossier depuis des années.
En 1999, coup de théâtre : Françoise Lausseure affirme qu’elle a donné un faux alibi à l’instruction en 1981, Maurice et elle n’ont jamais voyagé en Suisse lors de ce fameux week-end de la Toussaint 1977. Son témoignage sera un moment clef du procès à venir à Rennes.
À cette époque, Maurice Agnelet est depuis longtemps radié du barreau, et n’est plus franc-maçon. Il s’installe un temps au Québec, souhaite même obtenir la nationalité canadienne. En 2000, il vit au Panama.
Une nouvelle instruction débute et il est mis en examen pour homicide volontaire puis pour assassinat en mai 2004. Maurice Agnelet ne fuit pas la justice : il revient en France, pour être finalement renvoyé devant les assises.
Acquitté puis condamné
Un nouveau procès débute le 23 novembre 2006 à Nice. La journaliste du Monde Pascale Robert-Diard raconte les débats sur son blog. Il y a la passion, touchante, d’Agnès pour Maurice, qui lui ne la voit pas. Et cette conversation enregistrée quelques jours avant la disparition d’Agnès : “Je te rappelle”, lui dit-il alors qu’elle sanglote. Il ne la rappellera pas. Comme il ne semble pas préoccupé par l’absence d’Agnès, malgré les appels répétés de son frère.
Pendant le procès, la partie civile, en la personne de Me Kiejman, met en avant la personnalité de l’accusé, retorse et dominatrice à l’époque. Pas ce sexagénaire en pantalon de velours et col roulé, présent à la barre. La défense, elle, pose les éternelles questions “où, quand, comment ?” Pas de réponse. Quatre semaines de débats pour un acquittement : “Le doute doit profiter à l’accusé”, avait alors avancé l’avocat de Maurice Agnelet, Me Saint-Pierre, en ciblant sa plaidoirie sur l’erreur judiciaire.
Le parquet interjette appel, l’affaire n’est pas finie. À peine un an plus tard, le 17 septembre 2007, s’ouvre le procès en appel devant la cour d’assises d’Aix-en-Provence. Michel Henry, journaliste à Libération qui a consacré un livre à Maurice Agnelet, relève au chapitre des charges les annotations bizarres dans des exemplaires de la Pléiade. L’accusé y écrit : “Reclassement du dossier, liberté”. Car Agnelet est un “archiviste acharné”, selon le journaliste.
Pourtant, aucun élément nouveau ne vient s’ajouter au dossier. Ce procès est la copie conforme du précédent. La défense soutient que l’ancienneté des faits ne permet pas un procès équitable, qu’il n’y a pas de preuves formelles, pas de corps. Et les éternelles questions : où ? quand ? comment ? Pourtant, Maurice Agnelet est condamné à 20 ans d’emprisonnement le 11 octobre 2007.
Le troisième procès à Rennes
Ce lundi, s’ouvre donc le troisième procès de Maurice Agnelet, aujourd’hui âgé de 76 ans. Remis en liberté suite à la décision de la Cour européenne des droits de l’homme, il a vécu près d’une année du côté de Chambéry. Il a interdiction de parler à la presse. Il comparaît donc libre devant la cour d'assises d'Ille-et-Vilaine jusqu'au 11 avril. 44 témoins sont cités à comparaître. Parmi les témoignages les plus attendus, celui de Françoise Lausseure, son ex-compagne qui s'est rétractée en 1999. Les écoutes des enregistrements téléphoniques, effectués par Maurice Agnelet lui-même, seront sans doute aussi un moment clef de l'audience.