Ces jeudi et vendredi, le commissaire Rabah Souchi comparaît à Lyon pour avoir ordonné une charge ayant blessé une manifestante lors d'un rassemblement des "gilets jaunes" à Nice.
C'est une inédite jurisprudence qui se joue ces jeudi et vendredi devant les juges de la 16e chambre du tribunal correctionnel de Lyon. Cheveux gominés, veste de costume et chemise pourpre, le commissaire divisionnaire Souchi fait face à la justice, cinq ans après avoir ordonné une charge blessant Geneviève Legay, alors âgée de 73 ans, militante participant à une manifestation des "gilets jaunes" à Nice. Toujours en poste, l'homme comparaît pour "complicité de violence par une personne dépositaire de l'autorité publique", en tant que représentant de l'autorité civile ce 23 mars 2019. Dans son ordonnance de renvoi, le juge d'instruction chargé de l'enquête dépaysée à Lyon a conclu que cette charge était "illégale", "ni nécessaire, ni proportionnée".
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Un légaliste rigoureux et "virulent"
Dans un premier temps protégé par les déclarations successives du procureur de la République de Nice assurant le jour même que les forces de l'ordre n'ont jamais été au contact de la manifestante. Puis du président de la République, expliquant à nos confrères de Nice-Matin : "Quand on est fragile, qu'on peut se faire bousculer, on ne se rend pas dans les lieux qui sont définis comme interdits", le commissaire divisionnaire a finalement été lâché par ses collègues policiers dont une partie ont témoigné contre lui, mais aussi par les gendarmes présents ce jour-là, puis accablé par le rapport de l'IGPN qui a jugé ses "ordres inadaptés". A Lyon ce jeudi, malgré son ton professoral et assuré, l'homme est "bien seul" dans ce dossier, a relevé la présidente du tribunal.
S'il lui arrive de revenir sur certaines de ses déclarations, Rabah Souchi est un homme pointilleux, rigoureux. Particulièrement lorsqu'il décrit les opérations coordonnées ce jour de manifestation. Place Garibaldi, en plein cœur de Nice, le commissaire divisionnaire assure n'avoir fait qu'appliquer la loi et les ordres transmis par le préfet puis par le DDSP. "Je n'ai pas à interpréter, pas à réfléchir", lance-t-il. "Je me dois de m'assurer que l'ordre est légal, c'est tout." Et de compléter : "Je n'ai pris aucune initiative que la loi, les textes, n'autorisait pas." Un légaliste, citant des articles de loi dans chacune de ses phrases, mis en difficulté lorsqu'une assesseure l'interroge sur la proportionnalité de la charge qu'il a ordonné, face "à une foule calme, composée de manifestants pour certains âgés, de journalistes et de simples badauds", selon les conclusions du juge d'instruction.
"Je suis stupéfait et atterré de la manière dont le major V. a dépassé sa ligne de bouclier pour aller bousculer cette personne"
"Il y a les textes de loi que vous connaissez bien et qui vous autorisent à procéder à une charge. Mais il me semble que l'action des forces de l'ordre doit être nécessaire et proportionnée", lance la magistrate. "C'est bien la raison pour laquelle je suis stupéfait et atterré de la manière dont le major V. a dépassé sa ligne de bouclier pour aller bousculer cette personne", rétorque-t-il, tenant une ligne de défense mise en place dès le visionnage des premières vidéos en début d'audience. En effet, selon le commissaire divisionnaire, le major V. qui dirigeait la colonne de policiers ayant mené la charge au cours de laquelle Geneviève Legay a été blessée, a pris "une initiative individuelle en allant au contact des manifestants", dépassant la ligne de boucliers. "Je constate, en voyant les vidéos, qu'il accélère et qu'il peut être la principale cause de la chute de cette manifestante", tance Rabah Souchi.
"Pourquoi n'est-il pas jugé ?", s'interroge ainsi auprès de Lyon Capitale, Laurent-Franck Liénard, conseil du commissaire. Après analyse des différentes images de cette charge, la question mérite d'être posée. Si Rabah Souchi est bien le fonctionnaire à l'origine de cette charge, le major V. semble déraper en allant volontairement bousculer Geneviève Legay. Des images habituelles lors des manifestations parisiennes, pour la première fois diffusées dans un tribunal. "Il ne cesse de dire 'je ne suis responsable de rien, mais grâce aux images des journalistes présents sur place, sa responsabilité est très clair", insiste Arié Alimi, conseil de Geneviève Legay.
D'autant que le comportement du commissaire, décrit par plusieurs gendarmes comme "virulent", prompt à "hurler", ne joue pas en sa faveur et vient appuyer la non-proportionnalité de cette charge, dont l'ordre aurait par ailleurs du être donné par le commandant B. et non par Rabah Souchi directement. Pire, pourtant cité par Me Liénard, le chef de section de la compagnie engagé dans la charge ayant conduit à la blessure de Geneviève Legay assure qu'il n'était pour lui "pas question de charger". "Nous n'avons pas obéi à deux ordres illégitimes : effectuer des violences et [venant par ailleurs] d'un commissaire qui ne commandait pas la force publique." Ce vendredi, Geneviève Legay est entendue par le tribunal, avant les réquisitions du procureur Alain Grellet et les plaidoiries des avocats.
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