Le chemin où Muriel Théron a été retrouvée. (@Capture INA)

Affaire Muriel Théron : trente ans plus tard, l'épilogue d'un cold case lyonnais

Cold case. Le 14 avril 1993, Muriel Théron, une lycéenne de 17 ans est retrouvée sans vie dans un chemin reliant la Croix-Rousse au quai Gillet. Des traces d'ADN sont relevées sur la scène du crime, mais l'auteur de ce meurtre précédé d'un viol ne sera jamais identifié. Trente ans plus tard, le pôle cold cases de Nanterre a repris l'enquête.

La scène de crime est brutale. Dans ce chemin qui serpente, prolongeant la rue Niepce dans le quartier de la Croix-Rousse, non loin du lycée Saint-Exupéry, une jeune fille est allongée sur le dos dans les feuillages, les mains sur le ventre. Elle n'a plus ses chaussures, son pantalon et ses collants sont baissés jusqu'aux chevilles. Les experts de la police scientifique constatent des traces de lutte sur le corps de la victime, de profondes griffures sont visibles sur sa joue droite, son cou est marqué par des traces de strangulation, du sperme est retrouvé sur la scène de crime.

Un chemin opaque, à l'abri des regards

Mercredi 14 avril 1993, à 14 h 10, Muriel Théron, 17 ans, a été violée et tuée. Quelques minutes plus tôt, c'est un oncle habitant le quartier de la Croix-Rousse qui a donné l'alerte. En sortant de sa classe de terminale D, aux alentours de 12 h 15, Muriel Théron lui a rendu visite. Vers 14 h, la lycéenne quitte l'appartement et se dirige vers les quais de Saône pour prendre son bus direction Neuville-sur-Saône, où elle réside avec ses parents. Plusieurs heures plus tard, ces derniers, sans nouvelle, s'inquiètent. L'oncle, à qui ils ont téléphoné, parcourt le trajet emprunté par Muriel, il découvre son cartable et l'un de ses vêtements dans ce chemin à la végétation foisonnante.

Le chemin reliant la rue Niepce au quai Gillet, aujourd'hui fermé. (@NC)

Jacques Dallest est juge d'instruction à Lyon au moment des faits. Arrivé entre Rhône et Saône quelques années plus tôt, il est saisi de cette affaire qui l'a "profondément marqué" et à laquelle il a "souvent repensé". "Il y avait beaucoup de végétation dans ce chemin qui le rendait presque opaque. On entendait le bruit de la circulation sur le quai en bas, tout cela a permis au criminel de procéder", décrypte l'auteur du livre Cold Cases : un magistrat enquête. A l'époque, Jacques Dallest tient à recevoir la famille au plus vite. "Le père de Muriel était effondré, la mère elle m'est apparue plus solide, plus froide, raconte l'ancien magistrat. Et d'ajouter : Dans des moments comme ça, on ne sait pas quoi dire, c'est une telle chape de plomb qui leur tombe sur la tête, je ne pouvais que leur expliquer que l'enquête allait se poursuivre."

L'ultime espoir d'un portrait-robot révélateur

Les investigations vont ainsi se concentrer sur le foulard porté par Muriel ce jour-là. Bleu et vert, il aurait servi au meurtrier pour étrangler la jeune fille et est porteur de l'ADN de celui-ci. En 1993, le génotypage n'en est qu'à ses balbutiements. "Il nous fallait une grosse quantité de matériel biologique, et le fichier des empreintes génétiques n'existait pas encore", rappelle Jacques Dallest. L'affaire est complexe, les enquêteurs soupçonnent des délinquants sexuels, des marginaux, le chemin où a eu lieu l'agression est connu pour être mal fréquenté. Discret dans les médias, Christian Théron, papa de Muriel, raconte au Progrès : "Je lui avais interdit de prendre ce chemin toute seule. Natif de la Croix-Rousse, je connaissais très bien le coin. Il y avait plein de gars tordus qui traînaient." Une cinquantaine de personnes seront placées sur la liste des suspects, parmi eux, le violeur en série Michel Fourniret. Ici, des éboueurs assurent avoir vu un homme au comportement suspect dans une Peugeot 205 beige. Plus de 70 véhicules sont recensés, mais aucun ne colle. Là, un homme a été repéré en train d'observer la police sur les lieux du crime, mais, une fois encore, les enquêteurs l'écartent de la liste des suspects.

Muriel théron cold case
Le passage emprunté par Muriel Théron, aujourd'hui fermé. (@NC)

En 2012, un non-lieu est finalement prononcé. Le père de Muriel, veuf depuis le décès de sa femme en 2008, emportée par un cancer, se tourne alors vers l'association de retraités de la police et de la gendarmerie d'aide aux parents d’enfants victimes (APEV). Patrick Detré, inspecteur de police pendant 15 ans, puis agent de la police scientifique à Paris, a participé à l'installation de la sous-direction du service à Ecully. Il a vu les techniques d'exploitation de l'ADN évoluer et se perfectionner. Engagé avec l'APEV, il rencontre Christian Théron, qui souhaite alors faire rouvrir l'enquête. "Psychologiquement, il était assommé. C'est compliqué de se retrouver dans ces procédures", explique-t-il. Le père de Muriel Théron sollicite ainsi l'APEV pour procéder à une relecture du dossier. "Je me suis rendu compte qu'il y avait des choses que l'on pouvait exploiter, d'autant qu'avec les avancées scientifiques, on pouvait avoir de nouveaux résultats", raconte Patrick Detré.

"Monsieur Théron a 80 ans maintenant, lui ce qu'il voudrait, c'est savoir avant de partir, que ses autres filles sachent qu'il a tout fait pour arriver au bout"

Patrick Detré, ancien inspecteur de police et membre de l'association d'aide aux parent d'enfants victimes

En septembre 2015, après de nombreuses sollicitations de Christian Théron, son avocat Me Yves Sauvayre et l'APEV, le dossier est finalement rouvert. Les analyses ADN menées resteront toutefois muettes, aucun suspect n'est identifié. En 2018, le conseil de la famille demande qu'un portrait robot génétique soit réalisé à partir des traces de sperme constatées sur le foulard de Muriel, et d'un cheveu roux retrouvé sur les lieux du crime. "Nous avons reçu une fin de non-recevoir", déplore Patrick Detré. 30 ans plus tard, c'est précisément dans la réalisation de ce portrait-robot qu'un mince espoir réside. "Je n'ai jamais pu expliquer à Christian Théron pourquoi il n'a pas été fait", soupire encore l'ancien inspecteur de police, d'autant que ce procédé a été utilisé dans plusieurs affaires.

Le chemin emprunté par Muriel Théron au niveau du quai Gillet. (@Capture INA)

A l'époque, un chef de groupe de la sûreté de Lyon ayant travaillé sur l'enquête en est persuadé, l'affaire est presque pliée. Selon lui et plusieurs de ses collègues, le coupable serait un homme originaire d'Afrique du Nord qui aurait depuis fui la France. "Le portrait-robot génétique aurait permis d'infirmer ou de confirmer cette piste, lance Patrick Detré. Et d'ajouter : Le père de Muriel ne voit plus que ça, il s'attache à ça et c'est normal. Tant qu'on ne l'aura pas fait, il ne sera pas fixé." L'affaire Théron a été reprise par le pôle cold-cases de Nanterre au mois de mars. "Le dossier peut encore progresser, les scellés seront réexaminés, tout sera retravaillé, mais des vérifications de cette ampleur, ça demande du temps", note Jacques Dallest. 30 ans plus tard, un infime espoir renaît pour tenter de résoudre cette affaire non-élucidée. "Cette petite fille est dans un coin de ma tête depuis dix ans. Monsieur Théron a 80 ans maintenant, lui ce qu'il voudrait, c'est savoir avant de partir que ses autres filles sachent qu'il a tout fait pour arriver au bout, assure, touché, Patrick Detré. Et de conclure : J'ai encore un petit espoir."

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