Agnelet : Agnès disparaît, “elle est partie faire la java”

La cour d’assises de Rennes a continué d’examiner ce mercredi les enregistrements réalisés par Maurice Agnelet, lors des deux tentatives de suicide d’Agnès Le Roux, début octobre 1977, et ceux faits après sa disparition. Des écoutes toujours très troublantes, 37 ans après les faits.

Par deux fois, le 5 puis le 7 octobre, Agnès Le Roux tente de porter atteinte à sa vie, chez elle, à son domicile à Nice. A chaque fois, Maurice Agnelet appelle la police. Le 7 octobre, il reçoit un appel de Jean-Dominique Fratoni. Celui-ci s’inquiète de l’état de santé d’Agnès. "Elle me réclame, lui confie l’avocat niçois. J’essaie d’obtenir la présence d’une de ses amies, pour venir s’occuper d’elle à plein temps. Moi, je n’y arrive pas. Le matin, le midi, le soir, je ne peux pas être constamment auprès d’elle." Il n’y a pas trace de grand sentiment amoureux dans la voix de Maurice Agnelet. Comme toujours. Vis-à-vis de sa maîtresse, il emploie un ton professionnel, presque attaché à un certain pragmatisme.

“Avec toi, jusqu’à la mort”

Maurice Agnelet contacte aussi Nicole Lampion, une amie proche d’Agnès. Comme aujourd’hui lors de ses différents témoignages, il est capable d’alterner en une seule phrase le rire, l’abattement, la compréhension et l’ironie. Auprès de Nicole, il s’étonne de "tous les bleus énormes, une bosse énorme sur la tête". Puis il lui parle d’une lettre, sous forme de testament, retrouvée dans l’appartement d’Agnès. "Avec toi jusqu’à la mort et peut-être même après…", se termine ainsi ce document.

Visiblement, après ses deux tentatives de suicide, Agnès Le Roux se renferme sur elle-même. Elle ne veut voir personne. Une deuxième conversation, datant du 10 octobre, entre Nicole et Maurice Agnelet l’atteste.

"Elle est complètement dans une bulle. En dehors de toi, il n’y a personne. Il n’y a que toi qui comptes, affirme l’amie d’Agnès. J’ai l’impression qu'elle veut être seule, ou avec toi." Le caractère d’Agnès, bien trempé, surgit dans cette conversation, ce que ne manque pas de rappeler Maurice Agnelet à la cour.

Le monologue d’Agnès et le silence

Mais comment une jeune femme décrite comme pleine de vie, d’un caractère enjoué, a-t-elle pu, par deux fois, tenter de se suicider ? Sa liaison avec Maurice Agnelet avait provoqué un certain isolement chez la jeune femme. La vente de ses parts à Fratoni l’avait éloignée de sa famille. Peu de temps avant, elle s’était vu refuser un voyage au Maroc par son amant. Hervé Temime interpelle Maurice Agnelet : "Vous avez dit que vous étiez amoureux fou, mais vous ne semblez pas beaucoup atteint... Elle est plus folle que moi", répond du tac au tac Maurice Agnelet.

Et que dire de cet échange insoutenable entre lui et Agnès, peu après sa deuxième tentative de suicide. Un monologue de la jeune femme, atone, entrecoupé de silences, parfois longs, comme incapable de mettre des mots sur sa propre douleur. Et, à l’autre bout du fil, un Maurice Agnelet désespérément muet. "C’est sa manière de l’écouter", affirme Me Saint-Pierre. Peut-être.

Plus tard, une nouvelle conversation reprend. Cette fois, Agnès est plus présente, elle veut partir en week-end prolongé à la Toussaint. Elle s’y prépare, fait les papiers pour sa nouvelle voiture, la Range Rover blanche, une belle voiture de luxe à l’époque. Pourtant, Maurice Agnelet ne partira pas avec elle. Il ira, comme lui l’affirme, en Suisse avec son autre maîtresse Françoise Lausseure.

Les bizarreries d’Agnelet

Décidément, l’homme n’est pas sympathique. Pis, il peut paraître agaçant et suffisant, lui qui fut visiblement un avocat moyen. Lorsqu’il s’inquiète du sort d’Agnès, il n’a pas de mots tendres, de sentiments avoués. Mais cela n’en fait pas pour autant un assassin en puissance. En revanche, il y a des éléments troublants que l’on découvre, au fur et à mesure de l’audience : aucun appel de lui sur le répondeur d’Agnès après sa disparition, les photocopies du “testament” d’Agnès retrouvées à son cabinet, l’absence de boîtes de médicaments lors de la deuxième tentative de suicide, l’usage qu’il voulait faire des ces enregistrements. Et puis son agenda, flou, à la Toussaint. A-t-il plaidé à Digne-les-Bains comme l’avocat général l’affirme, la veille de son prétendu départ en Suisse ? Maurice Agnelet accumule, sinon des mensonges, du moins des non-dits.

“Elle est partie faire la java”

Point d’orgue de ces écoutes, la conversation entre le jeune frère d’Agnès, Jean-Charles Le Roux, alors à la recherche de la jeune femme, et Maurice Agnelet : "Je commence à être inquiet. – Comme dit Coco, elle est peut être partie faire la java", lui suggère l’ancien avocat. Un brin retors, il va même confier au jeune homme : "Des amis commencent à se demander à qui profite ce silence. Le plus étonnant c’est que ça profite à Renée. – C’est la police qui dit ça ? s’étonne Jean-Charles. – Pardi !" lance Agnelet.

A ce stade des débats, la défense doit avancer ses pions. Me Saint-Pierre interroge directement : "Je souhaiterais savoir à quel moment vous pensez qu’Agnelet a prémédité son geste. Je suis face à une accusation indéterminée", avance l’avocat de l’accusé.

Tout semble accabler Maurice Agnelet dans cette affaire, mais rien ne l’accuse directement.

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