L’auteur présumé du meurtre d’un homme de 24 ans dans le quartier des Brotteaux (Lyon 6e) en octobre 2016 a été remis en liberté ce mardi. La faute à un mandat de dépôt non renouvelé à temps.
Le prévenu, âgé de 28 ans, était détenu depuis le 3 octobre 2016. La détention provisoire doit être renouvelée au bout d’un an, puis tous les six mois, sans quoi le suspect doit être remis en liberté. Ici le mandat de dépôt courrait jusqu’au 2 avril. Or le Juge de la Liberté et de la Détention avait fixé sa prochaine convocation au 12 avril. Le mandat de dépôt n’ayant pas été renouvelé, le meurtrier présumé a donc été relâché, conformément au droit.
Il n’en a pas pour autant été blanchi puisqu’il devra bel et bien comparaître à son procès, même libre. L’avocat de la partie civile, Alain Jacubowicz, n’en est pas moins en colère : "J’ai appris la remise en liberté du prévenu avec la réception de sa mise sous contrôle judiciaire !" L'avocat dénonce "une justice qui ne sait pas parler aux justiciables" et ajoute qu’une telle décision est difficile à comprendre pour ses clients. "Il y a un gouffre d’incompréhension et de révolte ! La famille a une grande crainte qu’il n'échappe à la justice. On se plaint qu’il y a une perte de confiance dans la justice, mais comment voulez-vous que les gens aient encore confiance avec des erreurs comme celle-là ?", déplore-t-il.
Petits dysfonctionnements et grosses conséquences
D’après l’avocat, la première conséquence de cette erreur c’est que le prévenu n’étant plus en détention, son procès n’est plus prioritaire. "Je vais écrire au Président de la cour d’assises et au Procureur général pour que cette affaire se règle au plus vite. Mon souhait c’est que ce procès se tienne avant 2019, mais il est fort probable qu’il ne se déroule pas avant deux ou trois ans." Si ce couac n’est dû qu’à une malheureuse erreur administrative, il souligne la situation de la justice française où ce genre de démarche se fait encore entièrement à la main et sans logiciel qui permettrait d’éviter ce genre d’écueils.
"C’est d’abord une question d’ordre technique, confirme Me Jacubowicz. Comment ce genre de choses est-il encore possible au 21e Siècle dans une société où l’on reçoit des alertes en permanence ?" Pourtant, le fichier CASSIOPEE (Chaine Applicative supportant le système d’information oriente procédure pénale et enfants ) doit permettre "l’enregistrement d'informations relatives aux plaintes et dénonciations reçues par les magistrats, dans le cadre de procédures judiciaires, afin d’améliorer le délai de traitement des procédures, et d’assurer l’information des victimes", selon le site de la CNIL.
Deux affaires en une semaine
Cette affaire intervient moins d’une semaine après une autre polémique autour de la remise en liberté du suspect principal dans une autre affaire. En 2001 Mohamed Abdelhadi avait été poignardé avant que son corps ne soit enterré dans un bois de l’Ain. Le 30 mars dernier, la cour d’appel de Lyon a finalement constaté la prescription des faits qui étaient reprochés à l’auteur présumé et datant de 2001. Ce dernier, âgé de 62 ans, avait avoué son meurtre en 2016.
Il avait aussitôt été remis en liberté. La famille de la victime contestait cette prescription, soulignant que chaque nouvelle investigation devait pouvoir interrompre la prescription. Seulement voilà : tous les procès verbaux de l’enquête ont disparu des archives. Leur avocat, Me Metaxas, par ailleurs défenseur du meurtrier présumé des Brotteaux, avait dénoncé une "faute lourde des ministères de la Justice et de l’Intérieur" et s’était pourvu en cassation.
“En l’espace de 15 jours, cela fait deux fois qu’un suspect de meurtre ayant avoué son crime est libéré à Lyon. Il ne faudrait pas que cela devienne la règle”, déplore celui qui s’est donc retrouvé des deux côtés de la barrière en deux semaines. Concernant le meurtre des Brotteaux il explique qu’il avait repéré l’erreur au moment de la convocation du JLD mais ne l’avait pas signalée : “Je suis avocat de la défense, explique-t-il, ajoutant : je ne m’en réjouis pas.”
“Je connais d’autres tueurs, je peux vous assurer qu’il y en a un certain nombre qui n’hésiteront pas à s’enfuir”
Cependant Me Metaxas se veut rassurant et affirme que son client ne risque pas de se soustraire à la justice. “Il a tout intérêt à respecter son contrôle judiciaire. Il jouera le jeu. Mais je reconnais qu’il s’agit là d’un gâchis humain, et ce des deux côtés.” Pour l’avocat ces deux situations mettent en lumière ce que disent les magistrats sur leurs conditions de travail depuis plusieurs semaines. “La justice lyonnaise est particulièrement concernée, avec des délais d’audiencement à la cour d’assises qui sont conséquents, entre 1 et 2 ans. Les dossiers, eux, sont maltraités. Quelque part, la justice a eu de la chance avec mon client qui a reconnu les faits et qui a des remords. Je connais d’autres tueurs, je peux vous assurer qu’il y en a un certain nombre qui n’hésiteront pas à s’enfuir”, alerte-t-il.