La parole se libère. Un juge de Bourg-en-Bresse, Laurent Richard, assume publiquement son refus d'envoyer les plus jeunes délinquants à Meyzieu.
Depuis son ouverture, certains juges pour enfants refusent de faire incarcérer des jeunes à l'Etablissement pénitentiaire pour mineurs (EPM) de Meyzieu. Laurent Richard et ses collègues, juges à Bourg-en-Bresse, préfèrent notamment envoyer les plus petits à la maison d'arrêt de Varennes-le-Grand (en Saône-et-Loire) plutôt qu'à la nouvelle prison ouverte en juin 2007 (lire encadré). Après le suicide de Julien, le 2 février dernier, dans sa cellule, cette position, publiquement assumée, relance le débat autour de ce nouveau type de prison pour mineurs. De plus en plus de voix s'élèvent pour dénoncer le fonctionnement de cet établissement, alors même que Rachida Dati, ministre de la Justice, a tenu à faire le déplacement à Meyzieu, le 9 février, pour annoncer que "les EPM n'étaient pas remis en cause".
A son inauguration le 11 juin 2007, l'EPM de Meyzieu était présenté comme la prison pour mineurs du futur. Pascal Clément, alors ministre de la Justice, décrivait même l'établissement comme une "salle de classe entourée de murs". Les plaquettes parlent de mettre "l'action éducative au cœur de la prison". Sur le papier, tout semble en effet mieux que dans les anciens quartiers pour mineurs : plus d'équipements (un gymnase, une salle de musculation et un terrain de sport, neufs), plus d'activités (une soixantaine d'heures par semaine d'enseignement, de sport et de loisirs) et plus de personnel pour encadrer les jeunes.
Une prison-poudrière
Pourtant dès son ouverture, les incidents se sont multipliés. Les premiers mineurs lyonnais étaient à peine arrivés que certains d'entre eux mettaient à sac une partie des locaux. La police anti-émeute spéciale prison "ERIS" a même dû intervenir. Il y a un mois, lorsque les filles sont arrivées de Montluc, deux d'entre elles ont agressé une surveillante.
Ce projet d'une prison "idéale" souffre en effet de graves problèmes de conception soulevés par les professionnels. L'EPM concentre tout d'abord trop de jeunes au même endroit. L'établissement, prévu pour 60, accueille actuellement 48 détenus alors que dans le quartier pour mineurs de Saint-Paul/Saint Joseph, à Lyon, ils étaient 20. "Même s'ils vivent en Unité de vie de 10 personnes, les informations circulent, analyse Laurent Richard, juge pour enfants à Bourg-en-Bresse. Les effets de contamination existent davantage à 48 qu'à 10 ou 20. Plus on augmente les groupes, plus les problèmes augmentent ".
Autre effet de la concentration : des quartiers pour mineurs ont fermé leur porte. C'est le cas notamment de Lyon et Villefranche. Du coup, certains jeunes sont incarcérés plus loin de leurs parents, ce qui rend les visites difficiles. "Or le premier besoin est de garder des liens avec la famille", note un magistrat.
Par ailleurs, occuper tous ces détenus de 7h30 à 21h30 s'est rapidement révélé catastrophique. "Des jeunes qui à l'extérieur souffrent d'un manque d'encadrement et d'inactivité, se retrouvent subitement contraints à multiplier les activités en groupe, explique le chercheur Pierre-Victor Tournier. Il leur est du coup difficile d'avoir un peu d'intimité". Depuis l'ouverture en juin, l'administration a toutefois un peu assoupli le programme.
Outre la surveillance, près d'une centaine de personnes sont affectées à ces activités éducatives ou au service santé. Pour le directeur départemental de la Protection Judicaire de la Jeunesse, Eric Nojac, "Il n'y a pas de problème d'effectif, comme le prétendent les syndicats". Il reconnaît cependant que " l'action des quatre administrations qui interviennent (PJJ, administration pénitentiaire, santé et éducation nationale) méritent d'être mieux coordonnée (...), il faut que l'espace éducatif trouve sa place dans ce milieu judiciaire".
Ce travail éducatif semble avoir du mal à être réalisé alors qu'il était censé être au cœur du projet de l'EPM. "L'enferment ajouté à la concentration des jeunes et le manque d'espace rend la situation explosive, constate Jean-Claude Vaupré de la CFDT Justice. Pour contenir les jeunes qui explosent, il faut plus de personnel, pour pouvoir les sortir du groupe. Aujourd'hui pour seule solution on les met dans le quartier disciplinaire alors qu'il faudrait prendre le temps de les écouter. (...) La mort de Julien montre que le système est disproportionné pour une prise en charge individuelle". Cause et conséquence de cette tension permanente dans les équipes : un turnover élevé chez les éducateurs. Sur 30 employés, 24 ont changé de poste. Suite au suicide de Julien, six nouveaux postes devraient être créés au mois de mars.
Très implanté chez les juges pour enfants, le Syndicat de la magistrature a rappelé son opposition aux EPM, dès l'annonce de la mort de Julien. "C'est une illusion de penser faire de l'éducatif en prison alors que c'est un lieu qui fragilise, souligne Hélène Franco. Or l'argent mis dans ces établissements ne va pas dans les mesures éducatives en milieu ouvert ".
En 2002, Dominique Perben, ministre de la Justice de l'époque, avait fait le pari de marier éducation et prison en programmant la création de sept EPM. Huit mois après l'ouverture du premier, à Meyzieu, un constat d'échec semble s'imposer.
Meyzieu, site pilote
L'EPM de Meyzieu est le premier à avoir ouvert ses portes en juin 2007. Actuellement, 48 mineurs, prévenus ou condamnés, y sont incarcérés pour une durée moyenne d'un mois. Sur les sept EPM programmés, cinq fonctionnent actuellement, pour 167 mineurs incarcérés, âgés de 13 à 18 ans. Deux nouveaux EPM doivent ouvrir d'ici fin 2008. Les quartiers pour mineurs des maisons d'arrêt restent le lieu principal d'incarcération des jeunes puisque 584 délinquants y séjournent actuellement. Avec un taux d'occupation de 60%, il n'y a pas de surpopulation contrairement aux quartiers pour majeurs.
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