ENTRETIEN - C’est une enquête de près de 20 ans qui va peut-être trouver son dénouement, encore une fois grâce à la science. Jeudi, le principal suspect dans le viol et le meurtre de Mokhtaria Chaïb, une des disparues de Perpignan, a été mis en examen pour viol avec arme en récidive et assassinat. Des analyses ADN sur des fragments vieux de près de 20 ans avaient permis d’identifier le suspect. Des analyses effectuées par le laboratoire Biomnis, à Lyon. Si elle ne s’exprime pas sur le dossier, Marie-Hélène Cherpin, directrice du laboratoire d’empreintes génétiques chez Biomnis, confirme que c’est bien son service qui a travaillé sur cette enquête depuis janvier 2012. Elle explique à Lyon Capitale ses méthodes de travail et les difficultés liées aux cas anciens.
LYON CAPITALE : Lorsque vous recevez les scellés qui vous sont adressés par la justice, quelle est la première étape de votre travail ?
MARIE-HÉLÈNE CHERPIN : La première étape, c’est de chercher au bon endroit. Par exemple, si un corps a été traîné, il faut comprendre comment il a été traîné pour identifier les zones de “prise” qui sont susceptibles d’abriter encore des traces génétiques. Il nous faut donc quelques éléments de l’enquête, que nous demandons au juge d’instruction. Prenons l’exemple d’une bouteille. S’il s’agit d’identifier quelqu’un qui a pu boire, nous travaillerons principalement sur le goulot ; si elle a servi d’objet contendant dans une agression, alors les relevés se feront ailleurs, sur le corps de la bouteille par exemple.
Mais quelle est la particularité du travail sur des affaires anciennes ?
Les dossiers anciens sur lesquels nous travaillons sont, par nature, des infractions graves pour lesquelles les scellés ont déjà été analysés. Il reste donc peu de traces de l’ADN qui nous permet d’établir l’empreinte génétique.
L’ADN se dégrade-t-il aussi avec le temps ?
Tout dépend. Il faut que les prélèvements aient été faits correctement. Or, ceci n’est pas toujours évident sur ces affaires anciennes. À une certaine époque, on ne prenait pas toutes les précautions que nous prenons aujourd’hui, tout simplement parce qu’on ne savait pas à quel point la science allait progresser et tout ce qu’on pourrait faire aujourd’hui.
Les scellés doivent également avoir été conservés à l’abri de l’humidité et de la lumière, pour limiter la dégradation. Le cas le plus ancien que nous avons eu à traiter chez Biomnis datait de 1953. Il s’agissait d’ossements découverts dans un glacier, donc dans des conditions parfaites de conservation. Nous n’avons eu aucune difficulté à établir une empreinte génétique.
Que recherchez-vous dans les cellules que vous prélevez sur les scellés ?
La technique des empreintes génétiques est basée sur un principe de “photocopie”. On prélève les cellules dont on extrait l’ADN et on multiplie ces fragments d’ADN en plusieurs milliers d’exemplaires. Pour schématiser grossièrement, la cellule est comme un œuf. Nous, nous cassons la coquille, nous nous débarrassons du blanc et dupliquons le jaune. Ce sont sur ces milliers de copies de fragments d’ADN que nous travaillons.
Comme dans le cas des disparues de Perpignan, on entend souvent parler d’empreinte génétique incomplète. À quoi cela correspond-il ?
En France, on parle d’une empreinte génétique complète lorsque nous avons 15 fragments d’ADN, avec au maximum 2 caractéristiques génétiques (2 caractéristiques puisqu’une peut avoir été transmise par le père et l’autre par la mère, mais il peut en y avoir une seule lorsque les deux parents transmettent la même). On parle d’empreinte génétique incomplète lorsque, dans une région, sur un ou plusieurs fragments, on ne dégage pas de caractéristique génétique.
Une empreinte génétique incomplète a-t-elle obligatoirement moins de poids devant la justice ?
Pas forcément. En fait, tout dépend des caractéristiques génétiques mises en évidence, selon qu’elles sont courantes ou non. Certaines empreintes partielles ont une valeur d’identification forte.
L’empreinte génétique permet-elle également de déterminer des caractéristiques morphologiques ?
Non. Le seul élément qui peut facilement être identifié est le sexe. Mais, avec le type de marqueurs que nous utilisons, il n’y a pas de corrélation entre les caractéristiques génétiques et les caractéristiques morphologiques. On ne dira pas, par exemple, s’il a les yeux verts ou bleus, s’il est brun ou blond…
Pourquoi ces analyses d’ADN prennent-elles autant de temps ?
Nous devons parfois multiplier les prélèvements, donc les analyses. Nous sommes parfois amenés également à lancer des analyses complémentaires. Mais la partie la plus longue du processus reste l’interprétation. Si on a une belle trace d’ADN, cela va vite, mais lorsqu’on dispose de traces partielles, qu’il y a des mélanges, cela peut être plus long. Certaines affaires nécessitent aussi qu’on prenne un peu plus de temps.
Pourquoi ces scellés ont-ils été confiés à Biomnis et pas à la police scientifique ?
Certainement parce qu’on travaille bien. Loin de vouloir faire preuve de prétention, il est vrai que nous avons une solide expérience. Chaque année, ce sont environ 5 000 scellés qui passent par notre laboratoire de Lyon pour des affaires relevant du délictuel ou du criminel. Les affaires vont du cambriolage au viol, en passant par les affaires de stupéfiants ou d’homicide.