Le prêtre drômois évincé du tribunal ecclésiastique de Lyon après avoir lancé une pétition demandant la démission du cardinal Barbarin maintient sa position après cette semaine de procès. L'auteur du livre “Plus jamais ça”, sorti ce 2 janvier aux éditions de l'Observatoire, salue le courage des victimes et s'interroge sur le soutien dont peut encore bénéficier le Primat des Gaules auprès de ses ouailles lyonnaises.
Pierre Vignon persiste et signe. De retour sous les flocons de son paisible Vercors après une semaine passée entre plateaux et taxis parisiens, le prêtre lanceur d'alerte (lire ici) nous a livré son regard sur les quatre journées d'audience du procès Barbarin (raconté par Lyon Capitale toute la semaine ici). Il évoque la responsabilité morale du cardinal et remet, en termes à peine voilés, la question de la démission du Primat des Gaules sur la table. “Suffit-il d’être protégé par la prescription pour être archevêque de Lyon ?” lance celui qui sera, ce samedi soir, l'invité de l'émission de France 2 On n'est pas couché. Entretien.
Lyon Capitale : Quel est votre regard sur les quatre jours de débats ?
Pierre Vignon : On ne peut contester une décision de justice que selon les formes judiciaires. Pour l’instant, la décision n’est pas encore connue. Tout un chacun peut y aller de son interprétation. Ce qui a frappé avant tout, c’est la dignité exceptionnelle des plaignants. Il faut reconnaître également leur courage, qui a été souligné par la présidente du tribunal elle-même.
“Ce qui a frappé avant tout c’est la dignité exceptionnelle des plaignants. Il faut reconnaître également leur courage”
À l’opposé, l’attitude du cardinal a surpris, quasi prostré pour sa déposition puis reprenant son style de titi parisien pour le reste du procès. Ses avocats ont fait leur travail, donnant peut-être l’impression, par leur emploi froid du droit, auquel ils essayent de se tenir, qu’ils peuvent manquer d’empathie. Que penser de la sincérité de la démarche du cardinal, qui a salué les avocats des parties civiles, et de celle de son évêque auxiliaire, qui est allé au-devant du président de la parole libéré devant les caméras ?
Pensez-vous que ce procès a permis une prise de conscience, afin que l’Église catholique ne connaisse, selon le titre de votre livre, “plus jamais ça” ?
S’agit-il d’une réelle prise de conscience de la part de la hiérarchie ou de la continuation d’une opération de communication, nul ne peut le dire pour le moment. Les mots employés ont été forts : “Merci d’avoir secoué l'Église” [dixit Mgr Gobilliard, NdlR]. La réponse de François Devaux manifeste la grandeur d’âme des victimes et force l’admiration. C’est la preuve que, depuis le départ, les victimes ne se situaient pas dans l’attaque, ce qui aurait été leur droit, mais dans la simple demande de reconnaissance de leur situation et de leur souffrance. Je ne peux m’empêcher de penser, depuis le geste de Mgr Gobilliard, que s’il avait été fait au départ, l’Église de France et la ville de Lyon n’auraient pas été montrées du doigt lors de la tenue du procès.
Vous attendez-vous à une condamnation du cardinal, même symbolique ?
Quelle que soit la décision que prendra le tribunal, il ne faudra pas lui accorder une signification qu’elle ne pourra pas avoir. Le tribunal dira le droit, mais ne se prononcera pas sur l’honneur, la morale et la spiritualité. On peut souhaiter toutefois, malgré l'énorme travail qui attend la présidente, Mme Vernay, qu'elle saura exprimer en termes de droit, même symboliquement, l'énorme émotion qui existe en France par rapport au silence de certains hommes d'Eglise sur des affaires aussi graves. Il ne faudrait tout de même pas, comme l'a dit de façon incroyable et irréfléchie un prêtre de Lyon, que le cardinal apparaisse comme la “victime des victimes” (sic).
“Suffit-il d’être protégé par la prescription pour être archevêque de Lyon ?”
Je peux donc maintenir l’opinion qui a suscité ma lettre du 21 août 2018. Se pose en effet la question suivante : un casier judiciaire vierge est-il suffisant pour être évêque ? Si j’ai bien compris, madame la procureure, Charlotte Trabut, s’est bornée à noter que jusqu’en 2013 la couverture et l’intention de couvrir étaient démontrées. Mais que cela était atteint par la prescription et que depuis cette période on ne pouvait pas les retenir. On en revient donc au lapsus de mars 2016 : “La majorité des faits, grâce à Dieu, sont prescrits.” Suffit-il d’être protégé par la prescription pour être archevêque de Lyon ? Un point n'a peut-être pas été suffisamment noté : dans les affaires de citation directe, le procureur, en général, fait très rarement des réquisitions, pour ne pas aller contre l'avis d'un autre procureur.
La crédibilité morale du cardinal peut-elle être abîmée par ce procès, auprès de ses ouailles notamment ?
Ce procès renvoie chacun en particulier au dilemme entre la défense de son identité et la capacité de s’indigner. Les Lyonnais vont-ils faire corps avec leur archevêque afin de ne pas se sentir remis en cause, ou sont-ils capables, eux aussi, de manifester leur indignation face à l’abus dont leurs gones sont victimes ? Vont-ils choisir de faire partie du “village” dont parle l’avocat Mitchell Garabedian dans le film Spotlight, “village” qui est nécessaire pour abuser un seul enfant ? Ou vont-ils manifester leur indignation à la hauteur de leur conception de la morale, de la spiritualité et de l’honneur ?