Les plaidoiries des avocats ont occupé la seconde journée du procès des syndicats du CER SNCF de Lyon. Le procureur a exigé entre 15 000 et 80 000 euros d’amende, “symbolique au vu des sommes détournées, mais assez importante pour marquer les esprits”. Un “dossier vide”, a dénoncé la défense.
Seconde journée d’audience dans le procès des huit syndicats du comité d’établissement régional de la SNCF à Lyon. Ils sont accusés de recel d’abus de confiance, de faux et usage de faux : ils auraient capté, durant des années, une part non négligeable du budget de fonctionnement du CER pour financer leurs activités.
L’audience est ouverte à 10 heures, dans une salle à moitié vide – un vrai contraste avec la veille, lorsque des dizaines de syndicalistes avaient rempli les travées. Willy Pasche, à l’origine de la procédure, est moins seul : Philippe Chabin, entre autres, l’a rejoint. Cet ancien secrétaire (CGT) du comité d’établissement Clientèle de la SNCF à Paris est prêt à témoigner à la barre ; cela ne se fera pas. Trop tard, apparemment.
Partie civile : l’intérêt à agir… et les dommages et intérêts
Un témoin appelé par l’avocat de Sud-Rail est tout d’abord convoqué pour illustrer la façon dont le CER organisait les formations. Un point central des débats de la veille... qui n’avance guère aujourd’hui. Car, si l’avocat a fait venir ce témoin “pour prouver que chaque formation facturée a été effectivement donnée”, on voit mal comment un exemple de “vraie formation” peut étendre sa véracité à l’ensemble du dossier.
Me Cayuela, avocate de Willy Pasche et de Nathalie Guichon, plaide ensuite pour la constitution de partie civile. Une question qui avait donné lieu, la veille, à la clôture de l’audience, à des passes d’armes avec les avocats de la défense. Ceux-ci s’étaient irrités de n’avoir été prévenus que dans la matinée de cette demande, et de ne pas avoir eu connaissance des pièces qui y sont liées.
À la question de l’“intérêt à agir” qui manquerait aux deux clients de Me Cayuela, celle-ci rétorque qu’il s’agit de salariés très particuliers : “Ils sont membres d’un CER, qui est différent d’une société puisque son budget est basé sur la masse salariale. En tant que salariés, ils sont donc directement concernés par cette affaire, comme tout le reste du personnel.”
Après avoir résumé l’enchaînement des faits ayant conduit à ce procès, l’avocate justifie les dizaines de milliers d’euros réclamés par Willy Pasche et Nathalie Guichon à titre de dommages et intérêts – des montants qui, lors de la première journée d’audience, avaient provoqué un certain émoi dans la salle – par l’anxiété ressentie depuis 2002, les humiliations subies, la placardisation, la vie professionnelle détruite. Dans la salle, certains ricanent. Un observateur indique à son voisin : “ On se foutait de sa gueule quand il [Willy Pasche, NdlR] était dans sa cage.”
Il faudra attendre la communication de la décision du tribunal, fin septembre, pour savoir si cette demande de constitution de partie civile est acceptée. L’avocate se rassied ; c’est au tour du procureur de prendre la parole.
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L’accord de répartition : “un véritable droit de tirage”, selon le procureur
“La bonne ambiance de ce procès contraste avec le climat délétère du dossier”, annonce d’emblée le procureur, qui cite un fait précis, parmi les plus troublants de cette affaire : “Quand l’enquête évolue, toute la comptabilité des années 2002, 2003 et 2004 est bizarrement volée au CER.” Or, si le budget du comité d’établissement régional est excédentaire jusqu’en 1995, il plonge dans le rouge en 2002 (de plus de 8 000 euros) et 2003 (80 000 euros). Signe, selon le magistrat, que les syndicats se sont (trop) servis dans la caisse.
L’affaire se résume à ceci, selon lui : “Le budget de fonctionnement du CER représente environ 300 000 euros à se répartir chaque année ; cela dure depuis 1995, et pour la seule période de prévention [de janvier 2002 au 12 décembre 2006, NdlR], le montant dépasse le million d’euros. La seule question juridique est celle-ci : ces dépenses concernent-elles vraiment les membres du CER ?”
Claude Miachon, secrétaire (CGT) du CER au début des années 2000, “ne vérifiait pas les factures des formations : il remboursait, tant qu’on ne dépassait pas [le plafond fixé dans l’accord]”. En outre, les frais remboursés ”n’étaient pas des frais réels”, et nombre de ces formations “étaient en fait des réunions syndicales”. Sur les 16 factures “à problème” estampillées CGT, “une seule concerne clairement des élus du CER”. Les autres sont très vagues, ou semblent concerner des activités syndicales non liées au comité d’établissement, ajoute le procureur, qui pointe que ces factures “atteignent parfois 250 euros par jour et par personne, alors que la salle est mise à disposition gratuitement, que les formateurs CGT sont bénévoles et que les trajets en train sont naturellement gratuits”.
Pour le magistrat, c’est clair : il s’agit d’un moyen aisé de transférer des fonds du CER vers les organisation syndicales. Les faits reprochés à celles-ci font l’objet d’une énumération à la Prévert : pour la CGT, 30 sièges de bureau, 8 ordinateurs, 120 repas pour des retraités ; pour Sud-Rail, 8 chaises de bureau, 3 ordinateurs. La liste est longue ; le chiffre, sans appel : les organisations syndicales se seraient adjugé 67 % du budget de fonctionnement du CER.
“L’accord secret est un véritable droit de tirage, sous couvert d’une facturation de façade pour prétexter d’un lien avec les activités du CER, conclut le procureur. Tout simplement parce que les activités syndicales ne peuvent être couvertes par les seules cotisations.” Le magistrat limite cependant les amendes qu’il demande, au vu de l’ancienneté des faits, des circonstances (problèmes d’argent des syndicats), de l’absence d’enrichissement personnel prouvé. Il exige ainsi 80 000 euros pour la CGT, 30 000 euros pour l’Unsa, Sud-Rail et la CFTC, 15 000 euros pour la CFDT et FO, et demande de constater l’extinction de l’action publique envers la FGAAC et la CFE-CGC, structures défuntes.
“Je veux me faire l’avocat du syndicalisme”
Place aux avocats de la défense. Maître Tourné, avocat du secteur CGT, se taille – tout comme son client la veille – la part du lion du temps de parole, puisqu’il plaidera durant pas moins de 1h40. Il commence par un argument qui sera largement utilisé par ses confrères : ce procès est celui du syndicalisme – un jugement dur pour les syndicats menacerait le fonctionnement des délégations du CER… et le fonctionnement du CER lui-même, “qui ne sait pas fonctionner sans les délégations syndicales”.
L’avocat remonte à 1983 et au changement de statut de la SNCF pour démontrer que la CGT n’était pas favorable à une structure en comités d’établissement régionaux. Un système “qui a éradiqué toute la représentation locale qu’il aurait été légitime d’avoir”, puisqu’il a été préféré à une structure visant un comité par établissement, nettement plus “locale” (mais avec 327 CE au lieu de la trentaine de CER).
Or, 13 élus pour un CER de la taille de celui de Lyon, avec plus de 9 000 cheminots auxquels il faut rendre compte, “ce n’est pas assez”. Pour faire fonctionner le CER, on crée donc des structures ad hoc : commissions facultatives, commissions mixtes locales, etc. “Si le budget du CER ne sert pas aussi à rembourser leurs frais, on tue le CER !” tranche Me Tourné.
L’argument peut se résumer ainsi : lorsque les cheminots votent pour leur CE, le premier tour de l’élection ne rassemble que des candidats proposés par les syndicats. Des candidats hors syndicats ne peuvent se présenter qu’en cas de second tour, permis uniquement si le quorum n’a pas été rempli au premier tour. Ce qui n’arrive jamais. Les cheminots choisiraient ainsi objectivement d’être représentés par des syndicalistes. Ce qui expliquerait, selon l’avocat, une certaine identification – voire une confusion certaine – entre les fonctions de représentant syndical et celles d’élu du CER… et de l’argent y afférent. Un système qui, en outre, ne serait que l’héritage du passé.
L’avocat du secteur CGT mise beaucoup sur ce brouillage des limites. Il indique ainsi que “ce sont les organisations syndicales qui décident du règlement intérieur” du CER. Faux, rétorque Philippe Chabin : c’est le CER lui-même… Me Tourné assure que l’expert-comptable “certifie le bilan” du CER. Faux, selon Philippe Chabin : il “atteste” mais ne “certifie” pas – effectivement, la présentation annuelle des états financiers du CER comporte une “attestation de présentation” mais ne mentionne aucune certification.
Quant à la “transparence totale” du bilan, certes, celui-ci est très détaillé, mais il reste impossible d’avoir une idée précise de la nature des “formations des élus” qui ont coûté plus de 76 000 euros en 2012, en nette augmentation par rapport à l’année précédente (66 263 euros). Sans parler de ces “honoraires” passés de 53 000 à plus de 91 000 euros en un an.
L’avocat se tourne ensuite, comme la veille, vers Willy Pasche pour l’accuser de multiplier les procès contre le CER et contre la SCNF (ce qui est faux, seule une procédure aux prud’hommes pour harcèlement moral étant en cours), d’avoir participé à un article du magazine Capital condamné pour injure et diffamation (ce qui est largement faux, seuls deux points sur quatorze ayant été retenus par la première chambre correctionnelle qui n’a, au passage, pas reconnu le caractère injurieux ou diffamatoire du titre même de l’article, “Quand la CGT de la SNCF se transforme en patron voyou”).
En conclusion et revenant à son sujet, Me Tourné estime que “le seul système mis en place est celui de la débrouille, pour pouvoir faire face à la direction en cas de besoin, dans une région aussi étendue que celle couverte par le CER de Lyon”. “Je veux me faire l’avocat du syndicalisme”, a-t-il asséné. Ce n’est certes pas l’objet du présent procès, mais cela n’empêche pas l’avocat de brandir le chiffon rouge de la survie des syndicats : “Combien d’instituts de formation privés attendent au coin du bois” la fin du monopole des syndicats sur la formation des élus du CER ? Me Tourné parle même d’une “manne économique” qui reste, pour le moment, “injectée dans l’économie sociale”. Comprendre : les caisses des syndicats ?
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Des questions sans réponse
L’avocat de Force ouvrière tente, lui aussi, d’imposer une vision large des membres du CER concernés par le budget de fonctionnement. À ses yeux, il s’agirait des élus et de leurs suppléants, mais aussi des représentants syndicaux et des membres de toutes les commissions. Une vision partagée par ses confrères, sans guère de justification juridique exprimée à l’audience. Sinon, de nouveau, la nécessité de facto de consacrer cet argent à un large cercle de collaborateurs afin d’assurer la survie, ni plus ni moins, du CER.
Maître Plet, en revanche, prouve qu’un syndicat comme la CFDT, lorsqu’il n’a aucun élu au CER et ne touche donc pas un sou du budget de fonctionnement, peut survivre. Ce qui contredit en partie les affirmations de ses confrères… L’avocate propose sa propre solution pour clarifier les choses : “Arriver à un clivage rigoureux entre les dépenses du CER, qui ne passeraient plus par les organisations syndicales mais seraient remboursées directement par le CER lui-même, et les dépenses des syndicats.” Encore une spécificité de la CFDT, quand l’ensemble de ses coreligionnaires prône le maintien de l’accord de partage, parfaitement logique, justifié et légal à leurs yeux !
Me Plet lâchera également une petite phrase lourde de sous-entendus : “La direction de la SNCF est la grande absente du jour.” Assentiment de certains dans la salle… Mais l’avocate ne s’appesantira pas sur ce point. En effet, pourquoi la direction de la SNCF, qui préside le CER et assure le fonctionnement de celui-ci par l’argent qu’elle lui verse, n’est-elle pas représentée à l’audience ? Pourquoi ne s’est-elle pas portée partie civile ? C’est pourtant bien l’argent prélevé sur sa masse salariale qui a potentiellement été détourné.
Un point relevé par maître Luciani, avocat de Sud-Rail : “Pourquoi la direction de la SNCF n’a-t-elle pas attaqué cet accord en justice ?” Selon les syndicats, elle était forcément au courant de cette répartition du budget. Et, même si elle le jugeait parfaitement acceptable et légal, pourquoi n’être pas venue le dire à la barre ? Des questions pour le moment sans réponse.
Contactée vendredi matin, la direction régionale de la SNCF ne souhaite pas commenter une procédure en cours. Elle ne nie pas le fait que la directrice régionale préside le CER, mais répète que le comité d’établissement est une structure complètement séparée et qu’à ce titre elle n’a pas à s’impliquer dans ce procès. Or, l’argent possiblement détourné par le CER provient de la SNCF et est directement prélevé sur la masse salariale de l’entreprise : la direction n’aurait-elle pu se porter partie civile ? Elle n’avait pas à le faire, au vu de la séparation nette des deux structures, réaffirme-t-elle.
Rendez-vous le 26 septembre pour la décision du tribunal.