La cour d’appel de Grenoble examine aujourd’hui la requête de l’héritier des fondateurs du magasin de cuirs et peaux lyonnais La Canadienne. C'est la première fois, selon son avocat, qu’une enquête fiscale vise une banque française, entre millions d’euros, secret bancaire et évasion fiscale.
C'est une vieille et obscure affaire de (très) gros sous, aux faux airs de Bettencourt à la mode lyonnaise. Un polar qui se situe à mi-chemin entre évasion fiscale, paradis off-shore, possible blanchiment d'argent et présumé abus de faiblesse.
L'histoire d'une riche famille lyonnaise, les Chabot, fondateurs de la marque de fourrures La Canadienne, dont l'argent s'est volatilisé entre la Suisse, le Liechtenstein et le Panama, via une banque lyonnaise et sa filiale genevoise. Cet après-midi, ce bras de fer juridique trouvera peut-être son épilogue devant la cour d'appel de Grenoble.
Rappel des faits. Après-guerre, sur le quai Augagneur, Henri et Marguerite Chabot créent un commerce de cuirs et de peaux, la célèbre marque La Canadienne. L'affaire tourne du tonnerre, les chiffres d'affaires sont astronomiques pour l'époque. Et une partie du cash file droit au Crédit Suisse de Genève. Quand l'enseigne est revendue en 1981, quelques semaines avant l'élection de François Mitterrand, le compte en Suisse est toujours ouvert. En 2004, au décès de ses parents, Roland Chabot se rend à Genève pour faire valoir ses droits sur la fortune dont il est l'héritier. Réponse des banquiers : "secret professionnel"...
Myriade de fondations off-shore
Après de laborieuses recherches, il apprend que les avoirs de sa mère (38,3 millions d'euros de l'époque) ont été transférés du Crédit Suisse à la banque Pasche, toujours à Genève. Puis que les comptes ont transité une première fois sur un autre compte de cette même banque Pasche, celui de la fondation Stani (du nom de l'un des chiens de Mme Chabot), immatriculé au Liechtenstein et, dans un second temps, sur un compte d'une société panaméenne, Stani Corp.
"Toutes ces opérations ont été effectuées en totale irrégularité avec les lois françaises et suisses sur la lutte contre le blanchiment d'argent", explique Philippe Genin, avocat de Roland Chabot.
Début du bras de fer juridique
En novembre 2006, Roland Chabot intente une action devant le tribunal princier de Vaduz, au Liechtenstein, pour faire reconnaître ses droits patrimoniaux. La procédure s'enlise, mais l'héritier ne se laisse pas abattre. En janvier 2011, il parvient à récupérer 26 millions d'euros. Dans la foulée, il déclarera aussitôt ces sommes au fisc, payant de fait des arriérés d'impôts s'élevant à 6 millions d'euros.
Au mois de juin 2011, il saisit le référé du tribunal de commerce de Lyon de la demande d'organisation d'une vaste expertise ayant pour objet d'établir la preuve des faits de démarchage illicite, faux et usage de faux et abus de confiance. En d'autres termes, Roland Chabot estime que sa mère a été illégalement démarchée pour transférer sa fortune du Crédit Suisse à la banque Pasche, filiale du CIC-Lyonnaise de Banque. "Et complicité de fraude fiscale", ajoute Me Genin.
Parenthèse : à cette époque, quand La Lyonnaise de Banque rachète la banque Pasche, cette dernière est en mauvaise posture financière, terminant l'année sur une perte supérieure à un million de francs suisses. Autant dire que les 55 millions de francs suisses de Mme Chabot arrivent alors à point nommé.
Une banque française dans le collimateur des juges
Le tribunal de commerce rejette la demande de Roland Chabot, ce que confirme la cour d'appel de Lyon, quelques mois plus tard. "Ce n'est pas une question d'argent, explique Me Philippe Genin. M. Chabot en fait une question d'honneur et de justice." Un pourvoi en cassation est formé à l'automne 2012 et, juste avant Noël, la cour suprême casse la décision de la cour d'appel.
Dernier acte de cette fastidieuse procédure judiciaire, cet après-midi, devant la cour d'appel de Grenoble. "C'est un petit Bettencourt à la lyonnaise, acte Philippe Genin. Ce sera la première fois qu'une enquête fiscale vise une banque française." Pour la défense, "il n'est pas raisonnable de faire valoir que la banque Pasche aurait abusé de la faiblesses de Mme Chabot" et que l'héritier Roland Chabot "ne peut démontrer l'existence d'un prétendu démarchage illicite".