Sécurité ou liberté : faut-il choisir ? Devant un amphithéâtre de près de 300 étudiants à l'université Lyon 3, professeurs de droits et avocats affirmaient hier soir leurs réserves sur l'état d'urgence et le projet de réforme de la procédure pénale en France. Chargé d'appliquer les mesures de l'état d'urgence dans le Rhône, le préfet Michel Delpuech a rejoint le débat.
"L’État d'urgence est inutile, inconséquent et incertain." La professeure de droit public de Lyon 3, Marie-Laure Basilien-Gainche, n'a pas tergiversé. Elle considère que l'arsenal juridique existant était suffisant pour lutter contre le terrorisme, mais aussi que l’État d'urgence a réduit les mesures de contrôle, et donc les garanties offertes aux citoyens contre les dérives. Elle pose la question : pourquoi traiter par des mesures exceptionnelles un phénomène qui sera durable dans le temps : "le terrorisme s'intègre dans un temps long sur une région qui s'étend tout le long de la méditerranée. Qui va contrôler les dérives en France quand l'exceptionnel s'insinue dans le normal ? Le juge judiciaire est mis hors-jeu, le juge constitutionnel n'en est pas un, le juge administratif est en même temps conseiller du président et contrôleur du gouvernement." Le point de vue est tranché.
Sans être bien plus tendre, c'est au tour d'Yves Maillot, professeur émérite de droit pénal à l'Université Paris Assas, de s'exprimer sur le projet de réforme de la procédure pénale. Son intervention ne manquera pas de surprendre un haut membre de l'auditoire qui précisera avec humour que "le pénal qui vole au secours de la liberté, c'est nouveau !" Comme la plupart des intervenants déjà présents, il regrette que l'autorité administrative prenne le pas sur le judiciaire pendant et après l’État d'Urgence, sous couvert de lutte contre le terrorisme. C'est donc à point nommé que l'autorité administrative, en la personne de Michel Delpuech, préfet du Rhône, pousse les portes de l'amphithéâtre. Le son de cloche devient tout autre.
Et le préfet entra...
Michel Delpuech devra attendre la fin de l'intervention de Jean-Félix Luciani, avocat au barreau de Lyon, avant de prendre la parole. Pour cet avocat lyonnais "on distribue parfois de la prison comme des petits pains " et les réformes en cours sont inquiétantes pour les libertés de chacun. L'exercice de la profession "contre-pouvoir" des avocats serait bien plus délicate dans un contexte d'état d'urgence.
Pragmatique, le préfet rappelle la nature de la menace : "Daech est organisé et a des moyens : il s’appuie sur des individus qui résident sur notre territoire ou qui se projettent sur le théâtre syro-irakien." Aujourd'hui, 75 des 600 français présents dans les rangs de l’État Islamique sont originaires de la région et parmi les 450 individus de retour en France, une quarantaine est revenue dans le Rhône.
Le préfet évoque l'idéologie à l’œuvre sur le territoire français : "des prêcheurs proposent une idéologie subversive pour mettre fin à nos valeurs communes et instaurer la loi de la charia. Le sujet est là. Je me permet de rappeler la gravité du propos. Il ne s'agit pas de savoir s'il y aura d'autres attentats, mais de savoir où et quand."
En trois mois d'état d'urgence, 112 perquisitions ont été menés dans le Rhône, de nombreuses se sont conclues par des saisies d'armes et 32 % ont donné lieu à des suites judiciaires. Une douzaine de manifestation publiques ont été interdites et un lieu de réunion a été fermé avant de rouvrir ses portes : la mosquée de l'Arbresle. De nombreuses assignations à résidence ont été ordonné, sans qu'elles ne provoquent un fort taux de recours pour les contester. "Le couvre-feu permis par l'état d'urgence n'a jamais été instauré", précise le préfet.
De l'usage du pouvoir entre lucidité, raison et émotion
À l'heure des questions, un étudiant confie s'être senti un peu "gêné par l'arrivée de Monsieur le préfet." Tandis que les propos précédents dénonçaient une réaction du gouvernement liée à l'émotion plutôt qu'à la raison, l'étudiant souligne que le préfet a mis en avant la menace terroriste et justifie les mesures d'état d'urgence par sa pratique personnelle et non par les textes. Michel Delpuech s'explique, il tenait à être présent pour cette soirée, mais il n'est ni dans le débat politique, ni dans la menace. Dans son intervention précédente, il expliquait que "ce n'est pas parce qu'on a des pouvoirs qu'on fait n'importe quoi avec", avant de préciser qu'il lui était arrivé de refuser des perquisitions proposées par les services de police. Au moment ou la loi sur le renseignement commence à relancer le débat, il est l'heure de partir. Pour la bâtonnière de Lyon, Laurence Junod-Fanget, une heure de plus aurait été merveilleuse pour laisser plus d'étudiants questionner les intervenants... ce n'est donc sans doute que partie remise.